Le roi d'août
gorge serrée, douloureuse, elle finit par lâcher sa brosse et par éclater en sanglots, pliée en deux sur son escabeau, la tête entre ses bras croisés. Elle pleurait sur ce qu'elle allait perdre, un peu. Parce qu'elle ne verrait plus Philippe, parce que son père, un jour prochain, la remarierait au premier seigneur de petit lignage qui voudrait d'une femme répudiée, à un homme qu'elle n'aimerait pas, celui-là. Mais surtout, elle pleurait parce qu'elle s'en savait responsable. Le roi était bon, il était juste : pour qu'il fût à ce point fâché contre elle, c'était à coup sûr qu'elle avait mal agi.
Un léger grincement lui fit lever la tête. La porte s'était ouverte sans qu'on eût frappé, livrant un passage furtif à une haute silhouette masculine qui la referma avec précautions.
Isabelle poussa un petit cri d'effroi, avant de reconnaître en l'arrivant Renaud de Dammartin qui, déjà, mettait un genou en terre et baissait humblement la tête. Elle songea moins à lui reprocher cette intrusion qu'à lui cacher le pitoyable état dans lequel il la surprenait.
— Laissez-moi seule, supplia-t-elle, la voix éraillée. Je ne désire aucune compagnie pour le moment.
— Pardonnez-moi, madame, mais vous souffrirez, je pense, la mienne quand vous saurez que je vous apporte un message d'espoir. (Il se redressa le temps de faire deux pas et de se jeter à ses pieds, lui prenant des mains qu'elle ne songea pas à lui retirer. Ses yeux bleus plongèrent dans ceux de la reine, brûlants.) Je sais que je n'ai aucun droit d'être ici, mais n'appelez pas, je vous en conjure : si on nous surprenait, je serais à tout le moins banni et, surtout, votre époux aurait un prétexte de plus pour se séparer de vous.
À ces mots, Isabelle ne put retenir d'autres larmes, qu'elle ne chercha pas même à essuyer.
— Ne pleurez pas, reprit Renaud. Si vous voulez rester reine, il n'est pas temps de pleurer mais d'agir.
— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire, avoua-t-elle en reniflant. Désirez-vous donc que je m'élève contre la volonté du roi ? Je vous croyais son meilleur ami.
— Je le suis. Et c'est justement en cette qualité que je me présente devant vous. Pour empêcher qu'il ne contrarie ses propres intérêts sur la foi de méchants conseillers. (Il baissa un peu la voix.) Votre mari vous aime, madame. Je ne saurais dire combien de fois il me l'a répété. Il n'a aucun désir de faire annuler votre union.
— Pourtant…
— Pourtant, cela sera, oui, si nous n'y mettons bon ordre, mais soyez sûre que vous n'êtes pas en cause.
Isabelle secoua doucement la tête.
— Je vous remercie de vos bonnes paroles, mais je sais bien qu'il n'en est rien, dit-elle. Les regards qu'il me lance disent trop sa colère contre moi.
— Pas contre vous : contre votre père, parce qu'il soutient le comte de Flandre, lequel serait sans cela aisément vaincu.
Isabelle écarquillait les yeux. Que la raison de sa disgrâce fut politique la stupéfiait.
— Mais mon père est le beau-frère du comte de Flandre et son héritier, protesta-t-elle.
— Il est aussi le père de la reine, et comme tel, devrait être le plus fidèle allié du roi. (Le regard de Renaud se fit encore plus ardent.) Comprenez-vous, à présent ? La reine mère et ses partisans veulent vous chasser pour punir Baudouin. Philippe lui-même espère surtout lui faire peur, le contraindre à opérer un retournement d'alliance, mais s'il doit aller jusqu'au bout, il n'hésitera pas. Voilà pourquoi nous devons intervenir.
— Nous ? Vous et moi ?
Le jeune homme sourit.
— Vous l'ignorez peut-être, mais vous avez des alliés au conseil royal. Les Dreux sont opposés à l'annulation, qui verrait la perte de votre dot et serait donc dommageable au royaume. Ce sont eux qui ont imaginé le stratagème dont je vais vous entretenir à présent et m'ont chargé de vous en informer, car ils me savent dévoué à votre cause. Je bénis quant à moi cette occasion de vous servir enfin autrement que par de vains compliments.
S'il avait été le premier à se déclarer son chevalier servant, Renaud n'avait pas été le dernier, loin de là, aussi n'avait-elle jamais pris au sérieux ses déclarations enflammées – lesquelles faisaient partie du jeu de la fin ' amor dans lequel les jeunes chevaliers courtisaient platoniquement mais à l'envi l'épouse de leur suzerain. Aujourd'hui, toutefois, elle jugeait de sa dévotion, qui
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