Le roi d'août
les deux hommes était située à l'avant du palais. Depuis le milieu de l'entretien, environ, des éclats de voix leur parvenaient par les fenêtres, de plus en plus puissants, à peine étouffés par le papier huilé qui faisait office de vitres. On eût dit une véritable foule grondant au bas des murailles.
Comme Baudouin avait un geste d'ignorance, on frappa à la porte. Ce fut le vieux comte Robert de Dreux, visiblement très agité, qui parut quand son neveu ordonna d'entrer.
— Sire, c'est incroyable ! s'exclama-t-il. Ils sont tous là. Ils crient. Ils vous appellent.
— Qui cela, « ils » ? s'enquit le roi, irrité.
— Tout ce que la ville compte de mendiants et de pauvres gens. Ils sont des dizaines. Des centaines.
— Et que réclament-ils ? L'aumône ?
— Non, sire, je ne crois pas. (Robert se para d'une mine contrite.) Vous savez que l'âge me rend un peu dur d'oreille, si bien que je n'ai personnellement pas compris leurs appels, mais d'autres m'ont assuré qu'ils criaient « Pitié pour la reine ! ».
Philippe jeta un coup d'œil furieux à son beau-père.
— Si c'est là une de vos intrigues, je vous avertis : je ne tolère pas qu'on sème la sédition en mon royaume.
— Sur ma vie, j'ignore de quoi il est question, se défendit Baudouin.
Le roi le contempla un instant avec suspicion puis décida que son air éberlué n'était pas feint.
— Je crains qu'ils ne refusent de s'en aller avant que vous ne leur ayez parlé, sire, ajouta le comte de Dreux. Dois-je donner l'ordre de les disperser ?
— Sont-ils armés ? Paraissent-ils violents ?
— Nullement.
— En ce cas, que la garde se tienne prête à intervenir mais qu'elle ne bouge pas sans mon ordre. (Philippe poussa un long soupir.) Allons leur parler, puisqu'ils l'exigent : un roi est au service de son peuple. (Il se retourna brièvement vers le comte de Hainaut.) Si vous le voulez bien, nous reprendrons cette discussion plus tard, seigneur comte.
Le laissant s'éloigner au bras de son oncle, Baudouin demeura en arrière, songeur. Malgré les déclarations de Philippe, il n'avait pas la certitude que la Flandre fût vaincue d'avance. Pas s'il lui prêtait main forte. Dans le cas contraire, en revanche… À quel camp était-il de son intérêt d'assurer la victoire ? Une victoire plus éclatante valait-elle le bonheur d'Isabelle ? Le Hennuyer était ambitieux, le pouvoir l'enivrait, mais il aimait sincèrement sa fille et il l'avait vue décliner au fil des derniers mois comme en proie à quelque langueur. Si son époux la renvoyait, il craignait fort que la pauvrette n'y survécût pas.
Toujours incertain, en proie à des émotions contradictoires, il se hâta de rattraper ses compagnons.
La journée était d'autant plus fraîche que le ciel était dégagé. Quand Philippe parut en plein soleil, précédé d'une troupe de soldats qui se déployèrent afin de contenir au besoin la foule, une grande clameur monta de cette dernière. On criait « Vive le roi ! », on criait « Vive la reine ! », on criait « Pitié ! », « Miséricorde ! ». On ne menaçait pas, on implorait.
Convaincu que sa vie n'était pas en danger, le souverain salua des deux mains tout en descendant les premières marches du palais. Le groupe disparate amassé en contrebas, deux cents personnes au moins, se composait de gueux en haillons, bossus, boiteux, mais aussi d'artisans, de paysans, hommes et femmes confondus, et de quelques prêtres. Loin de chercher à se ruer sur les arrivants, la plupart s'étaient agenouillés en une posture implorante. Les gardes n'auraient pas à intervenir.
Le comte de Dreux, sorti à la suite de son neveu, tenta de masquer sa jubilation sous un masque d'inquiétude : il n'en avait pas espéré autant. Derrière lui, apparaissaient d'autres grands seigneurs attirés par l'agitation : Baudouin, bien sûr, mais aussi Raoul de Clermont, et jusqu'à l'archevêque de Reims.
Philippe, soudain, se figea : il venait de remarquer la petite silhouette blanche prostrée tout au bas des marches, la tête baissée et les mains jointes.
— Isabelle ! s'exclama le comte de Hainaut, qui avait lui aussi reconnu sa fille.
Il dévala le grand escalier au risque de se rompre le cou. Pourtant, il n'arriva pas plus tôt auprès de la jeune reine que le roi. Voyant ce dernier prendre les mains de son épouse, l'aider à se relever sans manifester violence ni colère, il demeura un peu en
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