Le roi d'août
désormais au Hainaut, sauf s'il plaît au roi de les appeler à son service, j'en fais serment.
Les deux hommes s'étudièrent un instant sans mot dire. Au visage décomposé du comte, Philippe acquit la certitude que ce dernier n'était pour rien dans l'incident. Nul ne devait d'ailleurs soupçonner la mise en scène car, dûment chapitrée par Renaud, Isabelle se garderait de l'avouer à quiconque – sinon à son confesseur, sur son lit de mort.
— Ma mie, je sais désormais la valeur de votre amour, dit le roi en se retournant vers son épouse. Croyez que je vous aime aussi et que jamais vous ne me quitterez.
À ces mots, la foule explosa en acclamations joyeuses et en actions de grâces, les hommes jetèrent en l'air leur chapeau, on vit des couples s'embrasser. Ce fut sous les vivats que Philippe souleva entre ses bras une Isabelle encore incrédule mais ravie et qu'il la baisa chastement au front. Lui nouant les bras autour du cou, elle pressa le visage contre sa poitrine, pleurant et sanglotant de plus belle – de joie, cette fois.
Faisant signe à Baudouin de se relever, le jeune roi lui remit solennellement sa fille, à laquelle il dut murmurer qu'il l'aimait pour qu'elle consentît à le lâcher.
— Je vous la confie, dit-il. Portez-la, je vous prie, en mes appartements. Faites venir ses suivantes. Qu'on la soigne et qu'on veille à ce qu'un bon feu brûle dans la cheminée pour la réchauffer. Je me rendrai à son chevet sitôt que me le permettront les affaires de l'État.
— Émouvant, n'est-ce pas ? souffla Robert de Dreux, souriant, à l'archevêque Guillaume qui se tenait à son côté en haut des marches.
— Extrêmement émouvant, soupira le prélat, les yeux levés au ciel. Je crois n'avoir jamais rien observé de plus émouvant…
Pour lui, qu'Isabelle restât ou partît, c'était tout un si le Hainaut se tenait tranquille. Il appréhendait en revanche la réaction de la reine mère à ce retournement de situation : bien entendu, ce serait à lui que reviendrait d'apaiser la tourmente…
Tandis que le comte Baudouin, portant sa fille, rentrait dans le palais, Philippe, face à la foule, leva les bras pour faire cesser le tumulte.
— Peuple de France, tu m'as évité une erreur et une injustice ! entonna-t-il d'une voix forte. Pour ta sagesse, pour la compassion qui règne en ton cœur, je suis fier de te gouverner. Dieu veuille que je m'en montre toujours digne.
Les vivats redoublèrent quand il tourna les talons et remonta à son tour les marches, parfaitement satisfait : d'un seul geste, il était parvenu à augmenter son prestige tout en suivant l'élan de son cœur – et il soupçonnait que la vie lui donnerait rarement l'occasion de renouveler pareil exploit.
Demeurait cependant une question : Baudouin s'était incliné, Baudouin avait juré, mais Baudouin tiendrait-il parole ? Comme tous les grands, il avait l'opportunisme aiguisé, la mémoire courte.
— Un mot, je vous prie, messire Raoul, lança Philippe dans le grand hall du palais, en prenant le bras du connétable pour l'entraîner à l'écart des oreilles indiscrètes.
Ce conseiller-là avait toujours servi fidèlement le trône. Partisan du comte de Flandre quand ce dernier se montrait utile au roi, il en était devenu l'ennemi acharné dès les premiers signes de discorde. Tel l'archevêque, il avait été favorable à la répudiation pour raisons politiques mais sans entretenir d'animosité à l'égard de la petite reine.
— Ce sont de belles paroles qu'a prononcées tout à l'heure mon beau-père, n'est-ce pas ? demanda le roi.
— De fort belles paroles, approuva Raoul de Clermont.
— Ne jugez-vous pas dommage que mon parrain ne se soit trouvé là pour les entendre ? Il serait triste qu'une déclaration aussi poignante, aussi sincère, ne soit pas portée à sa connaissance.
Un sourire madré contrastant avec l'innocence de ses traits de bébé naquit sur les lèvres du connétable.
— Il me semble vous entendre, sire, dit-il. Le moment que nous venons de vivre est digne des romans courtois qu'adore le comte. Peut-être serait-il possible de trouver quelque habile jongleur qui le lui rapporterait. Par pur amour de la poésie, bien entendu.
— Et à défaut de poésie…
— À défaut, une simple lettre fera l'affaire, j'en suis convaincu. L'état de mes relations avec monseigneur Philippe d'Alsace m'interdit de lui écrire moi-même, mais je sais deux ou trois chevaliers
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