Le roi d'août
sombre, peu communicatif. Quant au roi, encore éprouvé par ses efforts de la matinée, il lui faudrait une bonne nuit de sommeil pour perdre son teint de craie, son regard halluciné. En conséquence, ce fut une assemblée quasi silencieuse que surprit la soudaine agitation : cris, appels de trompe, cavalcade…
À peine les nobles convives avaient-ils eu le temps de s'étonner du vacarme qu'Aubri Clément faisait irruption sous la tente, très agité.
— Ils évacuent la ville ! s'exclama-t-il. Le roi Henri s'enfuit avec sa suite !
Richard fut sur ses pieds d'un bond, rayonnant.
— Il faut les poursuivre ! clama-t-il. À cheval !
Il empoigna l'épée qui reposait à son côté et la ceignit en se précipitant à l'extérieur.
— Attendez ! le rappela Philippe, alors qu'il sortait. Vous n'êtes pas équipé pour le combat. Laissez donc à nos troupes le soin de la poursuite. De toute façon, même si nous ne le capturons pas, Henri devra capituler.
— Par les dents-Dieu ! Crois-tu que je veuille t'abandonner toute la gloire ? renvoya le comte de Poitiers, oubliant le protocole. Reste ici et grand bien te fasse : moi, j'ai mieux à faire.
Le roi le regarda partir en secouant doucement la tête.
— Qu'il n'aille pas mourir sottement, celui-là, pria-t-il, navré.
— Et qu'il n'aille pas capturer son propre père, ajouta Raoul de Clermont. Si c'est la gloire qu'il recherche, voilà qui ferait singulièrement tache parmi ses exploits.
Philippe, curieux malgré tout, sortit à son tour, juste à temps pour voir Richard arracher son chapeau de fer à un soldat, le poser sur son propre crâne, sauter à cheval et partir au grand galop.
La ville tout entière était la proie des flammes. Par ses portes grandes ouvertes, les habitants affolés, ceux qui avaient survécu, la fuyaient comme ils auraient fui les flammes de l'Enfer. La garnison elle-même désertait son poste, se rendait. Avant que l'aube ne se lève, Le Mans ne serait plus que ruines et cendres fumantes.
Le roi, satisfait, donna l'ordre de ne pas maltraiter les prisonniers, de secourir les blessés, et rentra sous sa tente pour s'allonger. S'il ne prenait pas rapidement du repos, il lui semblait qu'il allait s'effondrer.
Richard, malgré sa hargne et ses efforts, ne captura personne. Monté sur un cheval au harnachement léger qu'il éperonnait sans merci, il eut bientôt distancé sans même s'en rendre compte ceux des chevaliers qui s'étaient lancés aux trousses des fuyards.
Ces derniers, une petite trentaine, filaient de toute la vitesse de leurs coursiers, mais il gagnait du terrain peu à peu. Enflammé, uniquement préoccupé de contrebalancer le coup d'éclat de Philippe par une prouesse guerrière, il ne s'avisa qu'il était seul, presque sans défense, que lorsqu'un des cavaliers qu'il poursuivait se détacha de la troupe pour galoper à sa rencontre, la lance baissée. Quand Richard le reconnut dans la pénombre du crépuscule, à ses armes, à la sûreté de ses gestes, il comprit que seul un miracle le sauverait – et il ne se produirait pas deux miracles le même jour.
Il tira sur ses rênes pour faire volte-face, mais il était déjà trop tard.
— Ne me tuez pas, Maréchal ! hurla-t-il. Ce serait mal : je suis tout désarmé.
Guillaume, sans doute, s'était déjà rendu compte de ce fait et avait lui aussi reconnu son antagoniste. Au dernier moment, il abaissa la lance qui visait la large poitrine du comte de Poitiers et que ce dernier tentait désespérément de détourner.
— Non ! renvoya-t-il, acerbe. Que le Diable vous tue !
Le fer aiguisé s'enfonça profondément dans la gorge du cheval avant que la hampe ne se rompe. L'animal hennit de douleur et s'écroula, entraînant son cavalier dans sa chute. Richard, que n'encombrait aucune armure, roula sur lui-même afin d'amortir le choc et d'éviter de se retrouver sous le destrier, mais il n'en demeura pas moins étendu de tout son long, presque assommé.
Son vainqueur le contempla un instant en silence, conscient de la gravité du geste qu'il venait d'accomplir, de la malédiction qu'il venait de lancer, puis il fit demi-tour et piqua des deux pour rejoindre le roi Henri. Déjà, le galop de leurs autres poursuivants retentissait dans le soir : on ne tarderait pas à prendre soin du jeune Plantagenêt, ce qui ralentirait d'autant la chevauchée et permettrait aux vaincus de s'échapper.
Henri se réfugia d'abord à La Fresnay puis, trahi
Weitere Kostenlose Bücher