Le roi d'août
guerre contre Henri II.
Ce jour-là, seuls les trébuchets étaient en batterie, car ils permettaient de pilonner la ville par-dessus les murailles, sans crainte de toucher les assiégeants.
D'autres engins, cependant, avançaient vers l'enceinte ou s'activaient déjà à son pied.
Le plus impressionnant était un gigantesque beffroi, une tour mobile de quatre étages, l'un en bois, les autres en métaux divers, du haut duquel les archers dominaient le chemin de ronde. Quand on pourrait l'en approcher vraiment, il permettrait aussi aux Chrétiens d'y prendre pied. Pour l'heure, il demeurait à distance raisonnable de la ville, car sa taille et son aspect redoutable en faisaient la cible privilégiée des balistes et pierrières en action sur les remparts : à plusieurs reprises, déjà, des flèches aussi longues que des lances l'avaient transpercé, affaiblissant sa structure, embrochant les soldats qu'il abritait.
Cachés dans des chats – longues carapaces montées sur roues, treillis en bois recouvert de peaux et d'argile –, les sapeurs creusaient, poursuivant le double but d'atteindre les fondations de l'enceinte pour les miner et de combler grâce à la terre rouge ainsi extraite le fossé qui s'étendait au nord et à l'est de la cité. À l'ouest et au sud, la mer suffisait à garantir les assiégés d'une attaque. Ce fossé, d'ailleurs, se voyait garni de tout ce qu'on pouvait y jeter, jusqu'à des cadavres animaux ou humains, nombre de Francs ayant demandé comme un honneur de continuer à servir ainsi le Christ après leur mort. Il s'en échappait donc de puissants remugles de charnier qui emplissaient l'air de leurs miasmes.
Sur la droite de Philippe, en un point tout proche de la « tour maudite », pièce angulaire des murs située au nord-est, à l'intersection de la ville proprement dite et du faubourg de Montmusard, la tranchée avait été assez remblayée pour autoriser, sur un plancher de fortune, l'approche d'un bélier. Lui aussi protégé par une charpente garnie de peaux, sous laquelle il était suspendu en équilibre par des chaînes, ce dernier consistait en un grand mât de navire à l'extrémité emboutie d'une puissante tête métallique. À l'autre bout, pendaient des cordes qu'empoignait une douzaine d'hommes afin de lui imprimer un mouvement de balancier jusqu'à ce que la tête ferrée vînt frapper la courtine avec des détonations assourdissantes, noyant les ahanements des soldats. On entendait l'évêque de Beauvais, qui les commandait, leur crier ordres et encouragements entre les coups, sacrer comme un païen.
L'épaisse muraille, pour le moment, tenait bon. Elle tiendrait encore des heures. Des jours, peut-être. Mais un vieux principe voulait qu'à force de taper sur quelque chose, on finît par le briser.
Philippe releva les yeux. À la verticale du bélier, parmi les ruines des hourds détruits par les pierrières, deux Mamelouks se dressaient au-dessus des créneaux, soulevant une grande jarre fumante qu'ils s'apprêtaient à jeter sur les assaillants. Sans se poser de question, le roi pointa son arbalète et en relâcha le carreau. Un des Arabes, touché en pleine poitrine, tomba en arrière, tandis que son camarade, atteint par les flèches de plusieurs archers, basculait par-dessus la muraille et plongeait au sein du fossé dans une gerbe d'éclaboussures.
La parade arrivait trop tard : lâchée plutôt que projetée, la jarre ne s'abattit pas sur le toit de peau, là où elle eût causé le plus de dégâts, mais frappa néanmoins le bélier lui-même alors qu'on le précipitait une nouvelle fois vers la paroi. Elle vola en éclats, répandant son redoutable contenu dans un jaillissement flamboyant. Le feu grégeois, que l'eau était impuissante à éteindre, se répandit sur le mât, entre son fer et la carapace protégeant ses servants. Eux, emportés par son mouvement, ne purent l'empêcher de reculer et de pénétrer sous leur abri, auquel l'incendie se communiqua instantanément.
— En arrière ! hurla l'évêque de Beauvais, comme s'élevait une infecte puanteur de poils et de cuir brûlés qu'accompagnait une fumée noire épaisse.
Ses hommes lâchèrent les cordes du bélier pour manœuvrer les cabestans grâce auxquels se mouvait la lourde structure, qu'ils entreprirent d'éloigner de la muraille. Sans attendre, l'évêque lui-même empoigna une pelle et se découvrit pour jeter de la terre sur le brasier au mépris des traits qui
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