Le roi d'août
percés de traits lancés avec une précision diabolique. Il était urgent de reprendre le contrôle des troupes avant que l'assaut ne tournât à la catastrophe.
Alors qu'il lançait des ordres, allant de droite et de gauche, comme insoucieux de sa propre sécurité, si vite que ceux qui lui faisaient un rempart de leur bouclier avaient peine à le suivre, le roi entendit soudain retentir des appels de trompe venus de l'arrière. Presque aussitôt, un galop effréné amena jusqu'à lui un des chevaliers chargés de garder le camp.
— Saladin attaque ! hurla l'arrivant, hors d'haleine. Ils sont des milliers !
Philippe retint un juron : les Infidèles postés sur les tells, à plus d'une lieue de la ville, semblaient doués de double vue : lors de chaque assaut contre les murailles, ils avaient ainsi pris les Francs à revers. Bien sûr, on savait que les défenseurs d'Acre trouvaient le moyen de les prévenir, mais cette fois, le roi de France croyait bien avoir neutralisé leurs efforts : quarante arbalétriers, parmi les plus habiles, avaient été postés à intervalles réguliers sur toute la longueur de la muraille, avec pour mission de surveiller le ciel. Ainsi avaient-ils abattu successivement trois pigeons voyageurs, l'habituel moyen de communication entre les assiégés et leurs alliés. Sans doute un quatrième était-il passé inaperçu, ou bien les fumées qu'on avait vu s'élever dans la ville juste après le début de l'assaut constituaient-elles en fait des signaux codés. Quoi qu'il en fût, l'armée du sultan se ruait une nouvelle fois sur le camp des Francs, où ne demeurait qu'un contingent réduit sous le commandement des Lusignan – Gui, l'ex-roi de Jérusalem, et son frère Geoffroi.
— Que faisons-nous, sire ? interrogea Aubri Clément.
— Nous n'avons pas le choix : il faut abandonner l'attaque et courir à la rescousse des nôtres.
Avec une répugnance visible, le maréchal et les autres capitaines transmirent cet ordre parmi les assaillants. Aubri, comme beaucoup de Croisés, avait fait vœu de prendre Acre ou de mourir : chaque jour qui s'écoulait sans qu'il pût franchir les remparts de la ville lui était une épine plantée dans l'âme.
Ce ne fut pas non plus de gaieté de cœur que Philippe vit ses hommes refluer, rejoindre, pour ceux qui en avaient encore, les chevaux laissés à bonne distance de la muraille, tandis qu'une clameur victorieuse s'élevait sur le chemin de ronde. À tout le moins, il eût voulu disposer du temps d'éloigner les machines de guerre, mais s'autoriser le moindre retard eût été courir au désastre. La retraite, qui ressemblait fort à une débandade, s'effectua donc avec précipitation, sous une grêle de traits et de pierres à laquelle nul ne se souciait plus de riposter – et de nouveaux cadavres s'ajoutèrent à ceux qui jonchaient déjà le sol, vite environnés d'insectes bourdonnants. Le soleil de l'après-midi aidant, la putréfaction ne tarderait pas, si bien que les lieux deviendraient encore plus malodorants, encore plus insalubres.
Lorsqu'il enfourcha son cheval, le roi serrait les dents : Richard n'irait pas jusqu'à se réjouir de l'événement – ses sujets composaient une bonne partie des victimes – mais il ne manquerait pas de blâmer son allié français. Et le maudit clerc à sa solde, Ambroise, qui tenait la chronique de l'expédition, se chargerait de consigner ce blâme sur le papier en feignant d'oublier que le Plantagenêt n'avait pas fait mieux lors de l'assaut précédent. Oh, certes, nul ou presque ne lirait l'ouvrage d'Ambroise, mais c'était tout de même vexant.
Philippe, regrettant de ne pas rémunérer les services de son propre chroniqueur et se promettant de pallier ce manque dès son retour en France, éperonna sa monture avec fureur : il avait hâte d'échanger quelques bons coups d'épée avec les Infidèles. Sans doute cela l'apaiserait-il.
L'alerte n'avait pas été donnée un instant trop tôt. Malgré les efforts des archers postés sur le remblai, bien des Musulmans avaient réussi à s'introduire dans le camp, bataillant, incendiant les tentes. Le fossé creusé par les Francs, le talus inégal édifié à l'aide de la terre ainsi délogée, ne valaient pas une muraille : s'ils obligeaient les assaillants à mettre pied à terre, ils leur autorisaient une escalade que des défenseurs trop peu nombreux ne pouvaient les empêcher de mener à son terme.
Quand Philippe et ses
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