Le roi d'août
chevaliers, devançant les piétons, déboulèrent sur les lieux, il leur sembla qu'un flot quasi continu de guerriers hurlants se déversait par-dessus la trop basse barricade. Les frères de Lusignan et leurs hommes se battaient comme de beaux diables – Geoffroi, notamment, debout sur le remblai, exécutait de grands moulinets de son épée, semant la mort dans les rangs adverses –, mais pour un Infidèle qui tombait, on en voyait trois se hisser à sa place, et sur ceux-là, deux franchissaient l'obstacle.
L'arrivée des premiers renforts marqua un tournant dans le combat. Aussi nombreux qu'ils fussent, les Musulmans, à pied et dépourvus d'armes d'hast, n'étaient pas de taille face à la fine fleur de la chevalerie occidentale. En outre, ne craignant plus d'être pris à revers par ceux qu'ils laissaient passer, les défenseurs du remblai se concentraient sur les nouveaux arrivants, ce qui décuplait leur efficacité.
Ce fut un beau carnage, au milieu des cris de rage ou de douleur et du fracas métallique des armes contre les cottes de mailles, dans une atmosphère étouffante où il était difficile de distinguer les parts respectives de la poussière soulevée par les chevaux et de la fumée des tentes incendiées. Dès le début, il ne fit aucun doute que les Francs auraient le dessus, même si nombre d'entre eux tombaient sous les coups furieux de leurs adversaires. Philippe, en proie à une colère noire, chargeait un Arabe après l'autre, se couvrant à peine de son bouclier, sans même songer qu'il risquait un mauvais coup. Son épée fendait des crânes, tranchait des membres, tandis qu'il hurlait au visage de ses victimes les noms de ses compagnons tombés au combat, à qui il dédiait chaque nouveau mort. Il frappait au nom de son oncle Thibaut, de son oncle Étienne, de son parrain Philippe d'Alsace… Il frappait parfois en son nom propre, et le faisait alors sans desserrer les dents, toute son énergie concentrée dans le bras qui s'abattait pour faucher une vie.
De temps en temps, il se rappelait de frapper au nom du Christ.
Quand arriva la seconde vague de renforts, le sort de la bataille se trouva joué. Gardés des coups par de nouvelles épées, de nouvelles masses, de nouvelles haches, ce furent plusieurs centaines d'archers qui se hissèrent sur le remblai afin de décocher leurs traits vers les assaillants encore à l'extérieur du camp. Il ne fallut pas bien longtemps aux capitaines dirigeant l'attaque pour comprendre que leur cause était perdue et ordonner la retraite. Les Arabes reculèrent en désordre, ceux qui avaient mis pied à terre remontèrent à cheval, et tous jouèrent des éperons pour regagner les collines dans un nuage de poussière bouillonnant.
Ensuite, il ne resta qu'à pourchasser les malheureux demeurés à l'intérieur du camp et à les massacrer. Quelques-uns, rares, choisirent de se rendre plutôt que de mourir les armes à la main, mais même à ceux-là, on ne fit pas grâce. Le siège d'Acre durait depuis trop longtemps, les affrontements se succédaient avec trop de régularité sans résultat notable ; la frustration et la rage dévoraient la magnanimité.
Quand il n'y eut plus un seul Mahométan debout, quand on eut à grand peine éteint les foyers d'incendie, quand la fumée se fut dispersée, la poussière redéposée, la clarté du soleil s'abattit à nouveau sur le champ de bataille, sur les cadavres. Des centaines de cadavres mutilés, sanglants, qu'on brûlerait sur un bûcher ou qui finiraient dans le fossé de la ville comme autant de briques humaines. Sans compter ceux que les archers avaient fauchés de l'autre côté du remblai, qui pourriraient dans la plaine, du moins ce qui en resterait après le passage des vautours et des chacals.
À y bien regarder, l'armée de Saladin avait subi plus de pertes que celle des rois chrétiens. Pouvait-on considérer pour autant qu'il s'agissait d'une victoire ?
Philippe acquit la certitude d'avoir au contraire connu une défaite en voyant s'élever des colonnes de fumée à proximité d'Acre. Malgré les conseils bien intentionnés de ses proches qui l'adjuraient de prendre un peu de repos – et se firent rabrouer sans ménagement –, il alla se rendre compte sur place, à la tête d'une petite troupe.
La garnison, profitant de l'assaut lancé contre le camp, avait effectué une sortie, taillé en pièces la garde insuffisante laissée auprès des engins et incendié ces derniers. Le
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