Le roi d'août
bélier sauvé de justesse un peu plus tôt, les chats, les pierrières et jusqu'au grand beffroi étaient détruits. Il faudrait des jours et des jours pour en construire de nouveaux.
Le roi de France, les mâchoires serrées, regarda sans un mot se consumer ses espoirs d'en finir rapidement avec ce port, capital pour le contrôle du littoral. Le sang lui était monté au visage.
On était le dix-septième jour de juin, en l'an 1191 de l'Incarnation du Seigneur.
Le siège se prolongeait depuis près de deux ans.
« Au vénérable seigneur et père dans le Christ, Richard évêque
de Londres, Hubert par la même grâce évêque de Salisbury
adresse ses salutations et renouvelle son amitié dévouée.
La cité d'Acre résiste opiniâtrement à nos attaques, et nous
sommes incapables de la prendre, car elle ne manque ni d'hommes,
ni de défenses, ni de machines de guerre ; et Saladin, de l'autre
côté, nous encercle. »
Cité par Raoul de Diceto, Images de l'Histoir e
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Philippe, parfois, se disait que tout était de la faute de Gui de Lusignan, arrivé sur le trône de Jérusalem non par ses mérites ou sa lignée mais parce qu'il avait épousé Sibylle, la veuve du précédent monarque. Ce grand gaillard hâbleur et séduisant ne manquait pas d'ardeur au combat mais de finesse politique et stratégique. On ne pouvait le rendre seul responsable du désastre : c'eût été nier les mérites des Musulmans. Toutefois, avec un roi de Jérusalem plus énergique, plus subtil, Saladin ne fût sans doute jamais allé aussi loin, lui reprendre ses conquêtes n'eût pas été aussi ardu. Peut-être les souverains d'occident n'eussent-ils même pas dû se déplacer – et au moins celui de France en eût remercié Dieu.
Le fameux Saladin, à ce jour, demeurait énigmatique, retranché derrière ses émissaires. Dès son arrivée en Terre Sainte, Richard avait voulu le rencontrer, impatient de connaître cet homme auréolé d'une gloire et d'un prestige qui surpassaient les siens. Celui que ses admirateurs paraient du titre honorifique de sultan, alors que lui-même ne se disait que roi d’Égypte et de Syrie, avait reçu l'invitation le plus courtoisement du monde : il n'était en rien opposé au principe de l'entrevue mais ne souhaitait pas s'y rendre en personne, car il n'eût pas été correct de se faire la guerre après avoir mangé au même plat – une répugnance que le Plantagenêt comme le Capétien avaient peine à comprendre, eux pour qui les plus ferventes déclarations d'amitié ne représentaient guère que le sentiment, le besoin du moment, et pouvaient être bafouées sans que l'honneur dût en souffrir.
L'entrevue avait eu lieu, entre les rois chrétiens et l'envoyé du sultan : son propre frère, al-Adel. Elle n'avait eu aucun résultat.
De toute façon, ce n'était pas uniquement par la négociation que le neveu d'un simple général kurde au service du roi de Syrie en était arrivé à dominer un territoire aussi vaste. Outre la diplomatie, il lui avait fallu de l'audace, la ferme conviction de se battre pour une juste cause et, il le reconnaissait lui-même, une bonne part de chance.
Cela faisait presque un siècle que Godefroy de Bouillon et ses chevaliers – aidés par la dislocation du gigantesque empire musulman qui, de Bagdad au Caire, unissait jadis Turcs et Arabes – avaient entamé avec une rare brutalité la conquête des territoires destinés à former le royaume franc de Jérusalem. Durant cette période, une sorte d'équilibre précaire, ponctué de trêves et d'affrontements successifs, s'était instauré, si bien que Mahométans et Chrétiens, souvent, voisinaient en bonne intelligence dans un respect mutuel. La désunion des premiers, dont certains s'alliaient parfois aux seconds contre leurs coreligionnaires, n'était pas pour rien dans ce résultat.
Les rois francs, en outre, se montraient désormais moins soucieux de combattre l'Infidèle que d'asseoir leur dynastie naissante. On l'avait constaté lors de la désastreuse campagne menée par Louis VII, le père de Philippe, et l'empereur Conrad, suite à la reprise d'Edesse par l'atabek Zinki : sans désavouer l'intervention des Chrétiens d'Occident, ceux d'Orient s'étaient abstenus de leur apporter une aide trop conséquente, estimant le maintien de l'équilibre essentiel à leur survie.
En cela, peut-être avaient-ils opéré un mauvais calcul.
Les données du problème, en effet, s'étaient modifiées avec
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