Le roi d'août
Noureddin, le fils de Zinki, homme d'un grand talent mais dont la ferveur religieuse confinait au fanatisme. Parvenu à unifier la Syrie sous son égide, il rêvait de reconquérir par la guerre sainte les terres occupées. La dernière montée en puissance avant sa chute de l'Empire Romain d'Orient – dont il craignait les représailles s'il s'en prenait à Jérusalem –, l'en avait dissuadé. Sans renoncer à son jihad, qui ne se traduisait plus que par des escarmouches, il s'était donc attaqué à une nouvelle cible, l’Égypte. Chirkouh, un de ses généraux, l'avait conquise en son nom, malgré l'alliance conclue par le jeune calife du Caire, al-Adid, avec le roi franc d'alors.
Ce Chirkouh était accompagné de son neveu, un petit homme discret, sans grande ambition, du nom de Salaheddin Youssef, que les occidentaux appelleraient Saladin.
Philippe, à qui des clercs de grand savoir avaient conté toute l'histoire, s'émerveillait de la manière dont ce jeune Kurde, en apparence insignifiant, s'était hissé à la place qu'il occupait aujourd'hui. Plût à Dieu qu'il eût lui-même un succès identique dans les projets qu'il méditait d'entreprendre dès son retour en France !
Officiellement, le calife d’Égypte régnait toujours. Le vrai chef du pays était toutefois le vizir qu'on lui avait imposé : Chirkouh. À la mort de ce dernier, peu après son accession au pouvoir, les conseillers d'al-Adid avaient engagé leur maître à le remplacer par l'émir syrien qui paraissait le plus inoffensif : Saladin. Il ne leur avait pas fallu longtemps pour déchanter : jouant tour à tour de force et de finesse, le nouveau vizir avait écarté un à un ses opposants et même remporté une facile victoire sur des Francs qui n'avaient pas renoncé à l’Égypte.
Deux ans plus tard, en sunnite fervent, Noureddin avait ordonné la dissolution du califat chiite égyptien, sans se rendre compte qu'il laissait au pays, censé dépendre de lui, un maître unique et absolu. Dès cet instant, et jusqu'à sa mort, ses relations avec Saladin n'avaient cessé de s'envenimer. Le roi syrien disparu, remplacé sur le trône par un fils de onze ans incapable de régner seul, ledit Saladin avait invoqué la nécessaire protection du nouveau souverain contre les mauvais conseillers pour revendiquer une régence qu'on lui avait bien sûr refusée. Puisque, tout en multipliant les incursions en Syrie, il se refusait à croiser le fer contre son maître, la situation eût pu s'éterniser si le petit roi n'était brusquement décédé à son tour, autorisant le prétendant à se saisir du pouvoir sans remord. Dès lors, les deux royaumes n'en avaient plus fait qu'un, la plus grande puissance musulmane depuis la désagrégation du vieil empire.
La reconquête des territoires occupés de Palestine redevenait d'actualité.
Saladin, toutefois, aussi pieux que Noureddin, n'était pas animé du même fanatisme. Pondéré, généreux, ouvert à la conciliation, il eût sans doute accepté une coexistence pacifique si ses adversaires s'étaient montrés également tolérants.
Un temps, à la faveur d'une situation curieusement similaire à celle de la Syrie un peu plus tôt, la chose avait d'ailleurs paru possible. Baudouin IV, le roi de Jérusalem, était mort de la lèpre, laissant comme héritier un enfant de six ans et comme régent le comte de Tripoli, Raymond.
On était en l'an 1185. Les Francs se divisaient alors en deux partis principaux. Celui de Raymond, parfaitement intégré en Terre Sainte, imprégné de culture arabe, était favorable à l'entente avec les Musulmans. L'autre, mené par Renaud de Châtillon, l'ex-prince d'Antioche – un bien triste personnage, aussi brigand que chevalier, ne rêvant que massacres et pillages –, réunissait ceux pour qui négocier avec les Infidèles revenait à négocier avec Satan, notamment les chevaliers du Temple et de l'Hôpital. Puisque le premier semblait l'emporter, Saladin avait accepté, alors que rien ne l'y contraignait, de signer une trêve de quatre années pour permettre au régent d'asseoir son pouvoir.
Une quinzaine de mois plus tard, hélas, le petit roi s'éteignait lui aussi, et sa mère épousait un Gui de Lusignan trop falot pour ne pas être sensible aux belles paroles de Renaud de Châtillon. Jérusalem avait un nouveau souverain – et jamais n'en avait connu ni n'en connaîtrait de pire.
À partir de ce moment, les événements s'étaient
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