Le Roi de l'hiver
le sud
pour en finir avec la Dumnonie. Deux ans ?
— La
pitance t’est montée à la tête, Ligessac.
— Et mon
seigneur paiera les services d’un homme de ta trempe. » Ligessac était
porteur d’un message. « Mon Seigneur Roi Gundleus est un homme généreux,
Derfel, très généreux.
— Dis à
ton Seigneur Roi que Nimue d’Ynys Wydryn fera de son crâne un vase à boire, et
que c’est moi qui le lui apporterai. » Sur ce, je me retirai.
Ce
printemps-là, la guerre fit de nouveau rage, même si, dans un premier temps,
elle fit moins de ravages. Arthur avait versé de l’or à Ongus Mac Airem, le roi
irlandais de Démétie, pour qu’il attaque le Powys et la Silurie sur le front
ouest, et ces attaques éloignèrent nos ennemis de nos frontières
septentrionales. Arthur lui-même prit la tête d’une bande de soldats pour
pacifier l’ouest de la Dumnonie où Cadwy avait proclamé l’indépendance des
terres de sa tribu, mais il était là-bas lorsque les Saxons lancèrent une
puissante offensive contre le territoire de Gereint. Gorfyddyd, nous le sûmes
plus tard, avait soudoyé les Saxons, comme nous les Irlandais, et l’argent du
Powys fut probablement mieux placé, car les Saxons s’abattirent sur ces terres comme
un véritable déluge, obligeant Arthur à rentrer précipitamment de l’ouest où il
laissa à Cei, son ami d’enfance, le soin de combattre les tribus tatouées de
Cadwy.
C’est alors,
tandis que l’armée saxonne d’Aelle menaçait de s’emparer de Durocobrivis et que
les forces du Gwent devaient batailler contre le Powys et les Saxons, au nord,
pendant que le roi Marc de Kernow encourageait la rébellion indomptée de Cadwy,
que Ban de Benoïc lança son appel.
Nous savions
tous que le roi Ban n’avait autorisé Arthur à venir en Dumnonie qu’à condition
qu’il revienne en Armorique si Benoïc était jamais menacé. Et voici que son
messager affirmait que le royaume courait les plus graves dangers : le roi
Ban, insistant pour qu’il respectât son serment, exigeait le retour d’Arthur.
La nouvelle nous parvint à Durocobrivis. La ville, qui avait jadis été une
colonie romaine prospère avec des bains somptueux, un palais de justice en
marbre et une belle place du marché, n’était plus maintenant qu’un fort
frontalier appauvri, vivant dans l’obsession des Saxons. Au-delà de l’enceinte
de terre, les pillards d’Aelle avaient incendié tous les bâtiments, qui
n’avaient jamais été reconstruits, tandis qu’à l’intérieur de la ville les
grands édifices romains tombaient en ruine. Le messager de Ban nous rejoignit
dans ce qu’il subsistait de la salle voûtée des bains romains. C’était la nuit
et un feu brûlait dans la fosse de l’ancienne piscine, la fumée bouillonnait à
hauteur du plafond voûté, où le vent l’attirait et l’entraînait par un fenestron.
Nous avions avalé notre repas du soir, assis en cercle sur le sol froid, et
Arthur invita le messager de Ban à se placer au centre de notre cercle où il
traça une carte sommaire de la Dumnonie dans la poussière, puis dispersa des
tesselles de mosaïque rouges et blancs pour indiquer la position de nos ennemis
et de nos amis. De tous côtés les carreaux rouges de la Dumnonie étaient cernés
par des morceaux blancs. Nous nous étions battus ce jour-là et Arthur avait la
pommette droite entaillée par un fer de lance : la blessure n’était pas
dangereuse, mais elle était assez profonde pour que se forme sur sa joue une
croûte de sang. Il s’était battu sans son casque, affirmant qu’il voyait mieux
sans ce carcan de métal, mais si le Saxon avait frappé un pouce plus haut et
sur le côté, il aurait enfoncé son acier dans la cervelle d’Arthur. Il s’était
battu à pied, suivant son habitude, car il économisait ses gros chevaux pour
les batailles plus désespérées. Une demi-douzaine de cavaliers montaient chaque
jour, mais la plupart des chevaux de guerre les plus coûteux et les plus rares
étaient gardés au cœur de la Dumnonie, à l’abri des raids ennemis. Ce jour-là,
après qu’il eut été blessé, notre poignée de cavaliers avaient dispersé les
lignes saxonnes, tuant leur chef et refoulant les survivants vers l’est. Reste
qu’on l’avait échappé belle et que nous étions tous mal à l’aise. L’arrivée du
messager, un chef qui s’appelait Bleiddig, rendit l’atmosphère plus lugubre
encore.
« Tu
vois, expliqua Arthur à Bleiddig
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