Le Roi de l'hiver
était fait. Il
fallait établir une nouvelle paix, et un seul homme pouvait l’imposer à la
Bretagne : Arthur lui-même. Il ouvrit les yeux et grimaça. « Quelle
est cette odeur ? demanda-t-il, l’ayant enfin remarquée.
— C’est
ici qu’ils blanchissent la toile, Seigneur », expliquai-je en montrant
d’un geste de la main les cuves de bois que l’on emplissait d’urine et de fiente
de poulet lavée pour produire le précieux tissu blanc comme les manteaux
qu’affectionnait Arthur.
D’ordinaire,
Arthur aurait trouvé un motif d’encouragement dans un tel signe d’industrie au
cœur d’une ville par ailleurs en décrépitude comme Durocobrivis, mais cette
nuit-là, il se contenta d’un haussement d’épaules et effleura le filet de sang
frais qui courait sur sa joue. « Une cicatrice de plus, fit-il d’un ton
lugubre. Bientôt, j’en aurai autant que toi, Derfel.
— Tu
devrais porter ton casque, Seigneur.
— Quand
je le porte, je ne vois pas plus à droite qu’à gauche », trancha-t-il. Il
s’éloigna du pilier et me fit signe de le suivre sous les arcades.
« Maintenant écoute, Derfel. Combattre les Francs et combattre les Saxons,
c’est la même chose. Ce sont des Germains, et ils n’ont rien de bien
particulier, si ce n’est qu’ils aiment lancer des javelines en plus des armes
habituelles. Donc, quand ils chargent, baisse la tête, mais après ce n’est
qu’un mur de boucliers contre un autre. Ce sont de farouches combattants, mais
ils boivent trop, si bien qu’on arrive généralement à les duper. Voilà pourquoi
c’est toi que j’envoie. Tu es jeune, mais tu as plus de jugeote que la plupart
de nos soldats. Ils croient qu’il suffit de s’enivrer et d’écharper l’ennemi à
coups d’épée, mais on ne gagne pas la guerre ainsi. » Il s’arrêta pour
essayer de réprimer un bâillement. « Pardonne-moi. Et pour autant que je
sache, Derfel, Benoïc ne court aucun danger. Ban est un émotif, observa-t-il
avec aigreur, et il panique pour un rien, mais s’il perd Ynys Trebes, il en
aura le cœur brisé et j’aurai ce poids supplémentaire à porter. Tu peux te fier
à Culhwch, c’est un brave. Bors est capable.
— Mais
traître. » Sagramor se tenait dans l’ombre, à côté des cuves de
blanchiment. Il était sorti pour surveiller Arthur.
« C’est
injuste, corrigea Arthur.
— C’est
un traître, insista Sagramor de sa voix rauque, parce que c’est l’homme de
Lancelot. »
Arthur haussa
les épaules. « Lancelot est parfois difficile. C’est l’héritier de Ban, et
il aime faire les choses à sa façon, mais moi aussi. » Il sourit en
tournant les yeux vers moi. « Tu sais écrire, n’est-ce pas ?
— Oui,
Seigneur. » Nous passâmes devant Sagramor, qui resta dans l’ombre, sans
jamais quitter Arthur des yeux. Des chats filèrent devant nous, tandis que des
chauves-souris tournoyaient autour du pignon fumant de la grande salle.
J’essayai d’imaginer cet endroit puant avec des Romains en toge, et éclairé par
des lampes à huile, mais l’idée semblait saugrenue.
« Tu dois
écrire et me raconter ce qui se passe, reprit Arthur, que je ne sois pas obligé
de m’en remettre aux lubies de Ban. Comment va ta femme ?
— Ma
femme ? » La question me dérouta et, l’espace d’une seconde, je crus
qu’Arthur faisait allusion à Canna, une petite esclave saxonne qui me tenait
compagnie et qui m’apprenait son dialecte, légèrement différent de ma langue
maternelle, mais je compris ensuite qu’Arthur pensait à Lunete. « Aucune
nouvelle, Seigneur.
— Et tu
n’en demandes pas, hein ? » Il me gratifia d’un sourire narquois et
soupira. Lunete se trouvait avec Guenièvre, laquelle était partie dans la
lointaine Durnovarie pour occuper le vieux palais d’hiver d’Uther. Guenièvre ne
voulait pas quitter son joli palais tout neuf de Caer Cadarn, mais Arthur
l’avait pressée de s’enfoncer dans le cœur du pays pour se mettre à l’abri des
incursions ennemies. « Sansum me dit que Guenièvre et ses dames se vouent
toutes au culte d’Isis, ajouta Arthur.
— De
qui ?
— Exactement,
reprit-il dans un sourire. Isis est une Déesse étrangère, Derfel, avec ses
mystères à elle ; quelque chose à voir avec la lune, je crois. C’est du
moins ce que me raconte Sansum. Je ne pense pas qu’il sache lui non plus, mais
il prétend que je dois interdire ce culte. Il dit que les mystères d’Isis
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