Le Roi de l'hiver
étaient fatiguées de leurs sempiternelles menaces. Puis
vint la grande fête de leurs tribus : au lieu de nous attaquer, ils
allumèrent de grands feux sur la grève et conduisirent une colonne d’esclaves à
l’extrémité de la digue où ils décapitèrent les captifs, l’un après l’autre.
Les esclaves étaient tous des Bretons, dont certains avaient des parents qui
virent la scène depuis le mur de la cité ; la barbarie du carnage poussa
quelques défenseur d’Ynys Trebes à tenter une sortie dans le vain espoir de
sauver les femmes et les enfants condamnés. Les Francs, qui s’attendaient à
l’attaque, formèrent un mur de boucliers sur le sable, mais les hommes d’Ynys
Trebes, fous de rage et de faim, chargèrent quand même. Bleiddig comptait parmi
les attaquants. Il mourut ce jour-là sous la lance d’un Franc. Nous autres,
Dumnoniens, vîmes une poignée de survivants revenir à la hâte vers la cité.
Nous ne pouvions rien faire, hormis ajouter nos cadavres au monceau. La
dépouille de Bleiddig fut écorchée, étripée, puis plantée sur pieu à
l’extrémité de la digue, où nous étions condamnés à le voir jusqu’à la
prochaine marée haute. Le corps n’en resta pas moins accroché au pieu si bien
que le lendemain matin, dans l’aube rose, les goélands déchiraient son cadavre
lavé par le sel.
« Nous
aurions dû charger avec Bleiddig, dit Galahad avec amertume.
— Non.
— Mieux
valait mourir en homme face à un mur de boucliers que de crever de faim ici.
— Tu
auras l’occasion d’affronter un mur », promis-je, mais je pris aussi les
mesures qui s’imposaient pour aider les miens dans la défaite. Nous
barricadâmes les allées qui menaient à notre secteur en sorte que, si les
Francs pénétraient dans la cité insulaire, nous puissions les tenir en respect
le temps d’emmener nos femmes sur l’étroit sentier hérissé de rochers qui
serpentait à travers la masse de granit jusqu’à la toute petite crevasse où
nous avions caché notre bateau capturé à l’ennemi. Cette crevasse n’avait rien
d’un port, si bien que nous protégions notre bateau en l’emplissant de cailloux
en sorte que la marée le recouvrait deux fois par jour. Sous l’eau, la coque
fragile ne risquait pas de se fracasser sur les flancs rocailleux de la falaise
sous l’effet du vent et des vagues. Je subodorais que l’ennemi attaquerait à
marée basse et deux de nos blessés reçurent pour instruction de vider le bateau
de ses cailloux sitôt le début de l’offensive afin que l’embarcation fût portée
par la marée. L’idée de s’enfuir en bateau était sans espoir, mais elle donna
du cœur aux nôtres.
Aucun navire
ne vint à notre secours. Un matin, on perçut une grande voile dans le nord, et
la rumeur se répandit comme une traînée de poudre dans la cité qu’Arthur
lui-même arrivait, mais la voile s’éloigna peu à peu au large et disparut dans
la brume estivale. Nous étions seuls. De nuit, nous chantions et racontions des
histoires, de jours nos observions les bandes franques qui s’amassaient sur la
côte.
Ces bandes
lancèrent leur offensive en fin d’après-midi, à la marée descendante : un
grand essaim d’hommes en armure de cuir et casque de fer, brandissant bien haut
leurs boucliers. Ils suivirent la digue puis sautèrent avant de gravir la
légère pente de sable menant à la porte de la ville. Les premiers attaquants
portaient un gros tronc d’arbre en guise de bélier, dont l’extrémité avait été
durcie par le feu et gainée de cuir ; les suivants portaient de grandes
échelles. Une horde vint lancer ses échelles contre nos murs.
« Laissez-les grimper ! » hurla Culhwch à nos soldats. Il
attendit que cinq hommes eussent commencé à monter sur une échelle pour lancer
une énorme pierre entre les montants. Les Francs hurlèrent en lâchant prise.
Une flèche glissa sur son casque alors qu’il lançait une deuxième pierre.
D’autres flèches s’écrasaient contre le mur ou sifflaient au-dessus de nos
têtes tandis qu’une grêle de javelines se brisaient avec fracas sur la pierre.
Les Francs formaient une masse grouillante au pied du mur où nous balancions
rochers et excréments. Cavan réussit à s’emparer d’une échelle et nous la
débitâmes en morceaux que nous fîmes aussitôt pleuvoir sur nos assaillants.
Quatre de nos femmes se débrouillèrent pour hisser sur les remparts une colonne
cannelée arrachée à une
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