Le Roi de l'hiver
que ça. Mais
la moitié qui pense à la suite, ce sont tous des chrétiens. » Il cracha
dans le ruisseau. « Ils disent que Lughnasa est une fête impie et que
Gorfyddyd va venir nous châtier de nos péchés.
— Auquel
cas nous ferions mieux de nous assurer que nous commettons assez de péchés pour
mériter le châtiment ! »
Il rit.
« Certains chuchotent que Seigneur Arthur n’ose pas quitter la ville de
crainte que les soldats ne se révoltent sitôt qu’il aura le dos tourné. »
Je secouai la
tête. « Il tient à passer Lughnasa avec Guenièvre.
— Qui ne
le souhaiterait ? demanda Issa.
— As-tu
vu l’orfèvre ? »
II hocha la
tête. « Il prétend qu’il ne peut faire un œil en moins de quinze jours,
parce qu’il n’en a encore jamais fait, mais qu’il va trouver un cadavre et lui arracher
un œil pour avoir les bonnes mesures. Je lui ai dit de prendre de préférence un
gamin, parce que la dame n’est pas bien grosse, pas vrai ? » Il eut
un mouvement de menton en direction de la cabane.
« Tu lui
as dit que l’œil devait être creux ?
— Oui,
Seigneur.
— Tu as
bien fait. Et maintenant j’imagine que tu as envie de faire des tiennes pour
célébrer Lughnasa ? »
Son visage se
fendit d’un large sourire. « Oui, Seigneur. » Lughnasa était
normalement la fête des moissons imminentes, mais les jeunes en ont toujours
fait une fête de la fertilité et les réjouissances devaient commencer cette
nuit, la veille de la fête.
« Alors
va ! Je resterai ici. »
Cet
après-midi, je fis à Nimue une charmille pour Lughnasa. Je ne savais pas trop
si elle apprécierait, mais j’y tenais et je fis une petite loge à côté du
ruisseau, coupant des roseaux et les pliant pour en faire un abri que
j’entrelaçais de bleuets, de coquelicots, d’œils-de-bœuf, de digitales et de
longs rouleaux entremêlés de volubilis roses. La Bretagne entière se couvrait
de semblables charmilles à cette occasion et, à la fin du printemps suivant,
les bébés de Lughnasa naissaient par centaines à travers le pays. Le printemps
était considéré comme une saison propice aux naissances, car l’enfant venait
dans un monde qui s’éveillait à l’abondance estivale, même si c’étaient les
batailles qu’il faudrait livrer après la moisson qui décideraient de
l’abondance des récoltes.
Nimue sortit
de sa cabane alors que je piquais les dernières digitales au sommet de la
charmille. « C’est Lughnasa ? demanda-t-elle, surprise.
— Demain. »
Elle esquissa
un sourire espiègle. « Personne ne m’a jamais fait de charmille.
— Tu n’en
as jamais voulu.
— Maintenant
si », dit-elle en allant s’asseoir sous la tonnelle fleurie avec un air
satisfait qui me fit bondir le cœur. Elle avait trouvé le bandeau et enfilé
l’une des robes que la servante de Gyllad avait apportées ; c’était une
robe d’esclave, une robe de bure ordinaire, mais elle lui allait comme lui
allaient toujours les choses simples. Elle était pâle et décharnée, mais elle
était propre, et ses joues avaient repris un peu de couleur. « Je ne sais
ce qu’est devenu l’œil d’or, fit-elle d’un air lugubre en touchant son bandeau.
— J’en ai
commandé un autre », répondis-je sans préciser que l’acompte de l’orfèvre
m’avait coûté mes dernières pièces. J’avais bien besoin d’un bon butin pour
regarnir ma bourse, pensai-je à part moi.
« Et moi
j’ai faim ! » dit Nimue avec une pointe de son ancienne malice.
Je jetai
quelques brindilles de bouleau au fond de la casserole pour empêcher le
bouillon d’accrocher, y versai le reste de bouillon et le mis sur le feu. Elle
avala tout, puis s’étendit sous la charmille de Lughnasa pour regarder le
ruisseau. Des bulles trahissaient la présence d’une loutre. Je l’avais déjà
remarquée : un vieux mâle à la peau déchirée par la bataille et qui avait
échappé de justesse aux lances des chasseurs. Nimue regarda la traînée de
bulles disparaître sous un saule abattu et se mit à parler.
Elle avait
toujours eu un solide appétit de conversation, mais ce soir-là elle fut
insatiable. Elle voulait des nouvelles, et je lui en donnai, mais elle voulait
toujours plus de détails, et encore des détails, et chaque détail
supplémentaire trouvait place dans un schéma de son cru qu’elle échafaudait de
manière obsessionnelle en sorte que l’histoire de l’année passée devint,
Weitere Kostenlose Bücher