Le Roi de l'hiver
parce
que nous ne pouvons vaincre en même temps Aelle et Gorfyddyd, ce qui veut dire
que nous devons soudoyer les Saxons ou aller à la mort.
— Les
petits esprits se soucient d’argent.
— Alors
remercie les Dieux pour les petits esprits », répliquai-je. J’étais
perpétuellement obsédé de problèmes d’argent.
« Il y a
de l’argent en Dumnonie si tu en as besoin, dit Nimue d’un air distrait.
— Celui
de Guenièvre ? demandai-je en hochant la tête. Arthur n’y touchera
pas. » À cette époque, aucun de nous ne savait l’ampleur du trésor que
Lancelot avait rapatrié d’Ynys Trebes ; sans doute aurait-il suffi à
acheter la paix d’Aelle mais le roi de Benoïc en exil le tenait bien caché.
« Pas
l’or de Guenièvre », protesta Nimue. Puis elle me dit où l’on pourrait
trouver le prix du sang d’un Saxon et je me maudis de n’y avoir pas songé plus
tôt. Il y avait une chance après tout, me dis-je, une toute petite chance, du
moment que les Dieux nous donnaient du temps et que le prix d’Aelle n’était pas
prohibitif. Je calculai qu’il faudrait une semaine aux hommes d’Aelle pour
dessoûler après leur sac de Durocobrivis, et que nous avions donc juste une
semaine pour accomplir notre miracle.
Je conduisis
Nimue chez Arthur. Il n’y aurait point d’idylle à Lyonesse, ni crible ni tamis
ni lit auprès de la mer. Merlin était parti dans le nord pour sauver la
Bretagne et Nimue devait maintenant faire jouer sa sorcellerie dans le sud.
Nous allions acheter la paix saxonne tandis que derrière nous, sur la rive de
notre ruisseau estival, les fleurs de Lughnasa se fanaient.
*
Arthur et sa garde
partirent dans le nord en suivant la Voie romaine. Soixante cavaliers,
caparaçonnés de cuir et de fer, s’en allaient en guerre et avec eux cinquante
lanciers, six à moi, et les autres conduits par Lanval, l’ancien chef de la
garde de Guenièvre, dont la mission avait été usurpée par Lancelot, le roi de
Benoïc qui, avec ses hommes, était maintenant le protecteur de tous les grands
qui vivaient à Durnovarie. Galahad avait conduit le reste de ses hommes dans le
nord, à Gwent. Que nous fussions tous partis avant la moisson était un indice
de l’urgence de la situation, mais la traîtrise d’Aelle ne nous laissait pas le
choix. Je marchai avec Arthur et Nimue. Elle avait insisté pour m’accompagner
alors qu’elle était encore loin d’être robuste, mais rien n’aurait pu la tenir
à l’écart de la guerre qui était sur le point de commencer. Nous nous mîmes en
marche deux jours après Lughnasa et, augurant peut-être de ce qui nous
attendait, le ciel était couvert de nuages. La bourrasque menaçait.
Les cavaliers,
accompagnés de leurs laquais et de leurs mulets de bât, ainsi que les lanciers
de Lanval attendirent sur la Voie romaine tandis qu’Arthur traversait la langue
de terre en direction d’Ynys Wydryn. Nimue et moi l’accompagnions, avec pour
toute escorte mes six lanciers. Il était étrange de revenir sous le pic
majestueux du Tor, où Gwlyddyn avait rebâti l’antre de Merlin en sorte que le
sommet du Tor ressemblait presque à ce qu’il était quand Nimue et moi avions
fui la sauvagerie de Gundleus. Même la tour avait été reconstruite et je me
demandais si, comme la première tour, c’était une chambre à rêve dans laquelle
les chuchotis des Dieux faisaient écho au magicien endormi.
Toutefois,
nous n’étions pas venus pour le Tor, mais pour le sanctuaire de la
Sainte-Épine. Cinq de mes hommes se postèrent aux portes du sanctuaire tandis
qu’Arthur, Nimue et moi pénétrions dans l’enceinte. La tête de Nimue était
dissimulée par sa capuche si bien qu’on ne pouvait voir son bandeau de cuir.
Sansum se précipita à notre rencontre. Il avait l’air en forme pour un homme
soi-disant tombé en disgrâce après qu’il eut fomenté à Durnovarie une émeute
meurtrière. Il était plus replet que dans mon souvenir. Il portait une robe
noire à demi recouverte d’une chape somptueusement brodée de croix d’or et
d’épines d’argent. Une grosse croix d’or pendait sur sa poitrine au bout d’une
chaîne d’or tandis qu’un torque d’or massif brillait à son cou. Sa face de
souris aux cheveux en brosse sévèrement tonsurés lui donnait l’air de minauder
quand il prétendait nous gratifier d’un sourire. « Quel honneur !
Oserai-je espérer, Seigneur Arthur, que tu es venu adorer notre
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