Le Roi de l'hiver
sur elle-même, le visage recouvert
de ses cheveux noirs et crasseux, ses maigres jambes serrées contre sa
poitrine, ses bras pâles agrippés à ses tibias. Dans les vertes collines, il
nous arrivait de braver les habitants des tumulus pour creuser les monticules
herbeux à la recherche de l’or des anciens, et nous trouvions leurs ossements
ainsi repliés, blottis dans la terre afin de conjurer les esprits à travers
l’éternité.
« Nimue ? »
Force me fut de continuer à quatre pattes pour rejoindre le renfoncement où
elle reposait. « Nimue ? » Cette fois, son nom me resta en
travers de la gorge, car j’étais certain qu’elle était morte. Puis je vis ses
côtes bouger. Elle respirait, mais tout le reste semblait mort. Je posai
Hywelbane et tendis une main pour toucher son épaule blanche et froide.
« Nimue ? »
Elle bondit
vers moi en sifflant, montrant les dents, son orbite creuse à vif et l’autre
œil ainsi retourné qu’on ne voyait que le blanc. Elle essaya de me mordre, elle
me griffa, murmura une malédiction d’une voix dolente puis me cracha dessus
avant de me lacérer le visage de ses grands ongles. Elle crachait, radotait,
gesticulait et cherchait à me mordre la figure de ses dents immondes.
« Nimue ! »
Elle hurla un
autre juron et me saisit la gorge de sa main droite. Elle avait la force des
déments et elle poussa un hurlement de triomphe en refermant les doigts sur ma
trachée. Puis, soudain, je sus ce que je devais faire. Oubliant ma gorge, je
pris sa main gauche et la plaçai sur ma cicatrice. Je la posai là. Je la
laissai là et ne bougeai plus.
Lentement,
très lentement, la main droite qui me serrait la gorge relâcha son étreinte.
Lentement, très lentement, elle roula de l’œil en sorte que je pusse revoir
l’âme lumineuse de mon amour. Elle me fixa puis se mit à pleurer.
« Nimue »,
murmurai-je. Elle se jeta à mon cou et s’accrocha à moi. Elle était maintenant
secouée de grands sanglots qui soulevaient ses flancs décharnés. La serrant
dans mes bras, je la caressai en murmurant son nom. Les sanglots se calmèrent
et finirent par cesser. Elle demeura longtemps accrochée à mon cou ; puis
je la sentis tourner la tête. « Où est Merlin ? demanda-t-elle d’une
voix de gamine.
— Ici, en
Bretagne.
— Alors
nous devons partir. » Elle retira ses bras de mon cou et les posa sur ses
hanches pour me regarder en face. « J’ai rêvé que tu viendrais.
— Je
t’aime. » Ce n’était pas ce que je voulais dire, mais c’était vrai quand
même.
« C’est
pour cela que tu es venu, fit-elle comme si cela allait de soi.
— As-tu
des vêtements ?
— J’ai
ton manteau, répondit-elle. Je n’ai rien d’autre que ta main. »
Je sortis en rampant
de la grotte, remis Hywelbane au fourreau et enveloppai son corps pâle et
frissonnant de mon manteau vert. Elle glissa son bras par une fente du manteau
de laine en haillons et, main dans la main, nous avançâmes entre les ossements
et escaladâmes la colline où les gens de la mer nous observaient. Lorsque nous
approchâmes du sommet, ils se retirèrent et personne ne nous suivit lorsque
nous redescendîmes d’un pas lent en direction du flanc est de l’île. Nimue ne
disait rien. Sa folie avait cessé dès l’instant où ma main avait touché la
sienne, mais elle l’avait laissée terriblement épuisée. Je l’aidai dans les
portions les plus escarpées du chemin. Nous passâmes devant les grottes des
ermites sans être inquiétés. Peut-être étaient-ils tous endormis ou les Dieux
avaient-ils jeté un charme sur l’île car nous suivîmes notre chemin vers le
nord sans aucune âme morte pour nous importuner.
Le soleil se
levait. Je voyais maintenant que Nimue avait les cheveux crasseux et grouillant
de poux, que sa peau était noire et qu’elle avait perdu son œil d’or. Elle
était si faible qu’elle pouvait à peine marcher et comme nous descendions la
colline en direction de la digue, je la pris dans mes bras et la trouvai moins
lourde qu’un enfant de dix ans. « Que tu es faible !
— Je suis
née faible, Derfel, et rien ne sert d’aller contre la vie.
— Mais tu
as besoin de repos.
— Je
sais » Elle appuya sa tête contre ma poitrine et pour une fois, dans sa
vie, elle se laissa volontiers choyer.
Je la portai
jusqu’à la digue et lui fis franchir le premier mur. La mer se brisait sur
notre gauche et la baie, sur notre droite, chatoyait au
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