Le Roi de l'hiver
qui remontaient la
rive, au loin, des faucons au poignet. Ils ne nous virent pas et c’est
paisiblement allongés que nous observâmes un de leurs oiseaux fondre sur un
héron : un bon présage. Car ce jour parfait Nimue et moi fûmes amants,
quand bien même nous était refusé le second plaisir de l’amour, qui est la
certitude d’un avenir partagé s’écoulant dans un bonheur aussi plein que
l’amour naissant. Mais je n’avais aucun avenir avec Nimue. Son avenir était
dans les voies des Dieux, et je n’avais point de talent pour ces routes.
Pourtant,
Nimue elle-même était tentée de s’en écarter. Le soir de Lughnasa, alors que la
lumière longue ombrageait les arbres des pentes ouest, elle se blottit dans mes
bras sous la charmille et parla de tout ce qui pouvait être. Une maisonnette,
un lopin de terre, des enfants et des troupeaux. « Nous pourrions aller au
Kernow, dit-elle d’un air songeur. Merlin dit toujours que c’est un pays béni.
Loin des Saxons.
— L’Irlande
est encore plus loin. »
Je la sentis
qui secouait la tête contre ma poitrine. « L’Irlande est maudite.
— Pourquoi ?
— Ils
possédaient les Trésors de la Bretagne et ils les ont laissés partir. »
Je n’avais pas
envie de parler des Trésors de la Bretagne, ni des Dieux, ni de tout ce qui
risquait de gâcher ce moment. « Alors le Kernow, consentis-je.
— Une
petite maison », reprit-elle, avant d’énumérer tout ce qui était
nécessaire à une maisonnette : jarres, casseroles, broches, cribles,
tamis, seilles, faucilles, cisailles, fuseau, bobinoir à écheveau, filet à saumon,
barrique, âtre et couche. Avait-elle rêvé à toutes ces choses dans son antre
froid et humide au-dessus du chaudron ? « Et ni Saxons,
ajouta-t-elle, ni chrétiens. Peut-être devrions-nous aller dans les îles de
l’Ouest ? Au-delà du Kernow. À Lyonesse. » Elle prononça le nom
enchanteur d’une voix très basse. « Vivre et aimer à Lyonesse »,
fit-elle, puis elle rit.
« Pourquoi
ris-tu ? »
Elle marqua un
temps de silence puis haussa les épaules. « Lyonesse est pour une autre
vie. » Par cette déclaration lugubre, elle rompit le charme. Tout au moins
pour moi, car je crus entendre le rire sardonique de Merlin à travers les
frondaisons et je laissai le rêve se dissiper tandis que nous demeurions
allongés, immobiles, sous la lumière longue et douce. Deux cygnes remontaient
la vallée vers le nord, en direction de la grande image phallique du Dieu
Sucellos sculptée dans le flanc de colline crayeux, au nord des terres de
Gyllad. Sansum avait voulu effacer l’image hardie. Guenièvre l’avait arrêté,
même si elle n’avait pu l’empêcher d’édifier un petit sanctuaire au pied de la
colline. J’avais dans l’idée d’acheter la terre quand j’en aurais les moyens,
non pour la cultiver, mais pour empêcher les chrétiens d’enherber la craie ou
d’extirper l’image du Dieu.
« Où est
Sansum ? » demanda Nimue. Elle lisait dans mes pensées.
« Il est
le gardien de la Sainte-Épine, désormais.
— Puisse-t-elle
le piquer », dit-elle d’un ton vengeur. Elle s’arracha à mes bras et
s’assit, remontant la couverture à hauteur de nos cous. « Et Gundleus se
fiance aujourd’hui ?
— Oui.
— Il ne
vivra pas assez longtemps pour posséder son épouse. « C’était plus qu’un
espoir, pensais-je, qu’une prophétie.
« Sauf si
Arthur ne peut vaincre son armée », répondis-je.
Et, le
lendemain, les espoirs de victoire semblaient à jamais envolés. J’achevais les
préparatifs de la moisson de Gyllad, affûtant les faucilles et clouant les
fléaux de bois à leurs pattes de cuir, lorsque arriva à Durnovarie un messager
de Durocobrivis. Issa nous apporta les nouvelles de la ville : elles
étaient redoutables. Aelle avait rompu la trêve. La veille de Lughnasa, un
essaim de Saxons avait fondu sur la forteresse de Gereint et enfoncé ses
murailles. Le prince Gereint était mort. Durocobrivis était tombée, et Meriadoc
de Stronggore, vassal de Dumnonie, avait pris la fuite. Les dépouilles de son
royaume faisaient désormais partie du Lloegyr. En plus de l’armée de Gorfyddyd,
Arthur devait maintenant affronter les hordes saxonnes. La Dumnonie était à
coup sûr condamnée.
Nimue railla
mon scepticisme. « Les Dieux ne termineront pas la partie de sitôt.
— Alors
les Dieux feraient mieux de remplir notre trésor, dis-je avec aigreur,
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