Le Roi de l'hiver
à Durnovarie. Mais vient-il vraiment ici batifoler
avec Morgane ? »
Gudovan hocha
la tête. « Il dit qu’il a besoin de compagnie intelligente et qu’il n’y a
pas d’esprit plus délié à Ynys Wydryn, et j’ose dire qu’il a raison.
Naturellement il la sermonne, des sottises à n’en plus finir sur une vierge
enfantant un Dieu qui se fait clouer sur la Croix, mais tout cela ne fait que
glisser sur le masque de Morgane. Du moins je l’espère. » Il s’arrêta et
but quelques petites gorgées dans sa corne d’hydromel où une guêpe était en
train de se noyer. Lorsqu’il reposa la corne, je péchai la guêpe et l’écrasai
sur le bureau. « Le christianisme gagne des fidèles, Derfel, reprit
Gudovan. Même l’épouse de Gwlyddyn, la jolie Ralla, s’est convertie, ce qui
veut probablement dire que Gwlyddyn et les deux enfants la suivront. Je m’en
bats l’œil, mais pourquoi faut-il qu’ils chantent tant ?
— Tu
n’aimes pas le chant ? le taquinai-je.
— Personne
n’aime plus que moi une bonne chanson ! répondit-il avec énergie. Le Chant
de bataille d’Uther ou le Chant de carnage de Taranis, voilà ce que j’appelle
un chant, pas ces jérémiades et ces vagissements sur la condition des pécheurs
qui ont besoin de la grâce ! » Il soupira en branlant du chef.
« J’apprends que tu étais à Ynys Trebes ? »
Je lui racontai
la chute de la ville. L’histoire semblait de circonstance, maintenant que nous
étions assis là, tandis qu’il pleuvait dans les champs et que la ténèbre
recouvrait la Dumnonie. Quand j’eus terminé mon récit, Gudovan fixait la porte
de ses yeux éteints. Je crus qu’il s’était assoupi, mais alors que je me levais
de mon tabouret il me fit signe de me rasseoir. « Les choses vont-elles
aussi mal que le prétend l’évêque Sansum ?
— Elles
vont mal, mon ami, reconnus-je.
— Raconte-moi. »
Je lui racontai
comment les Irlandais et les Cornouaillais multipliaient les razzias à l’ouest,
où Cadwy prétendait encore diriger un royaume indépendant. Tristan faisait de
son mieux pour retenir les soldats de son père, mais le roi Marc ne pouvait
résister à la tentation d’enrichir son royaume en détroussant une Dumnonie
affaiblie. Je lui racontai comment les Saxons d’Aelle avaient rompu la trêve,
mais ajoutai que la plus grande menace venait encore de l’armée de Gorfyddyd.
« Il a rassemblé les hommes d’Elmet, du Powys et de Silurie, expliquai-je
à Gudovan, et sitôt la moisson rentrée il les conduira dans le sud.
— Et
Aelle ne se bat pas contre Gorfyddyd ? demanda le vieux scribe.
— Gorfyddyd
a acheté la paix.
— Et
Gorfyddyd va-t-il gagner ? »
Je marquai un
long silence. « Non », répondis-je enfin. Non que ce fusse la vérité,
mais je ne voulais pas que ce vieil ami redoute que son dernier aperçu de la
vie fût l’éclair de lumière d’une épée ennemie s’abattant vers ses yeux
éteints. « Arthur les combattra, et personne n’a encore battu Arthur.
— Tu les
combattras, toi aussi ?
— C’est
mon métier désormais, Gudovan.
— Tu
aurais fait un bon clerc, dit-il tristement, et c’est une profession honorable
et utile, quand bien même personne ne nous fait seigneurs à cause d’elle. »
Je me dis qu’il avait dû savoir l’honneur qui m’était fait et, soudain, j’eus
honte d’en être si fier. Gudovan s’empara à tâtons de sa corne et but une autre
lampée d’hydromel. « Si tu vois Merlin, dis-lui de rentrer. Le Tor est
mort sans lui.
— Je le lui
dirai.
— Au
revoir, Seigneur Derfel. » À ces mots, je devinai que Gudovan savait que
nous ne nous reverrions plus ici-bas. Je voulus l’embrasser, mais il me
repoussa d’un geste de la main, craignant de trahir ses émotions.
Arthur
attendait à la porte de la mer, les yeux tournés vers l’ouest, par-delà les
marais balayés par de grandes bourrasques de pluie. « Ce sera mauvais pour
la moisson », lâcha-t-il d’un air lugubre. Les éclairs sillonnaient le
ciel au-dessus de la mer de Severn.
« Il y a
eu une tempête pareille à celle-ci quand Uther est mort », observai-je.
Arthur rajusta
son manteau. « Si seulement le fils d’Uther avait vécu... », puis il
se tut sans aller jusqu’au bout de sa pensée. Il était d’humeur aussi sombre et
lugubre que le temps.
« Le fils
d’Uther n’aurait pu combattre Gorfyddyd, Seigneur, ni Aelle.
— Ni
Cadwy, ajouta-t-il avec
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