Le Roi de l'hiver
brillait faiblement dans la lumière
orageuse ; autour du cou, elle portait les griffes d’ours serties d’or
qu’Arthur lui avait rapportées de Benoïc il y a bien longtemps. Elle s’accrocha
à lui, avide de tendresse, et je les laissai en tête à tête. Presque comme si
elle n’avait jamais quitté le Tor, Nimue se pencha pour franchir la petite
porte des appartements de Merlin tandis que je courais sous la pluie jusqu’à la
cabane de Gudovan. Je trouvai le vieux clerc à son bureau, mais il n’était pas
au travail car il était affligé de la cataracte, même s’il affirmait pouvoir
encore distinguer la lumière de l’obscurité. « Et le plus souvent il fait
noir maintenant, ajouta-t-il tristement avant de sourire. J’imagine que tu es
trop grand pour qu’on te frappe, Derfel ?
— Tu peux
toujours essayer, Gudovan, mais ça ne servira plus à grand-chose.
— Cela
a-t-il jamais servi ? » Je gloussai. « La semaine dernière,
quand il est venu ici, Merlin a parlé de toi. Oh, il n’est pas resté longtemps.
Il est venu, il a parlé avec nous, il nous a laissé un autre chat comme si nous
n’en avions pas déjà suffisamment et il est reparti. Il n’a même pas passé la
nuit, tellement il était pressé.
— Mais
sais-tu où il est allé ?
— Il n’a
rien voulu dire, mais où crois-tu qu’il est allé ? » Gudovan avait
vaguement retrouvé l’âpreté qui était la sienne autrefois. « Donner la
chasse à Nimue. Du moins je l’imagine, même si je me demande bien ce qu’il
trouve à cette petite sotte. Je ne comprends pas. Il devrait prendre une
esclave ! » Il s’arrêta, semblant soudain au bord des larmes.
« Tu sais que Sebile est morte ? poursuivit-il. La malheureuse. Elle
a été assassinée, Derfel ! Assassinée ! La gorge tranchée. Personne
ne sait par qui. Quelque voyageur, je suppose. Le monde court à sa ruine,
Derfel, à sa ruine. » Un instant, il parut perdu, puis retrouva le fil de
ses pensées. « Merlin devrait avoir une esclave. Aucun problème avec une
esclave empressée et il n’en manque pas en ville qui se rendent agréables pour
une piécette. Je fréquente la maison à côté de l’ancien atelier de Gwlyddyn. Il
y a une brave femme là-bas, bien que ces derniers temps nous ayons tendance à
parler plus qu’à faire branler son lit. Je me fais vieux, Derfel.
— Ça ne
se voit pas. Et Merlin ne court pas après Nimue. Elle est ici. »
Le ciel tonna
et la main de Gudovan trouva un petit bout de fer qu’il frappa afin de se protéger
contre le mal. « Nimue ici ? demanda-t-il sidéré. Mais on nous a dit
qu’elle était sur l’Ile ! » Il toucha à nouveau le fer.
« Elle y
était, fis-je d’une voix monotone, mais elle n’y est plus.
— Nimue... »
Il prononça son nom, presque incrédule. « Va-t-elle rester ?
— Non,
nous partons dans l’est aujourd’hui même.
— Et vous
nous laissez seuls ? demanda-t-il avec irritation. Hywel me manque.
— À moi
aussi. »
Il soupira.
« Les temps changent, Derfel. Le Tor n’est plus ce qu’il était. Nous
sommes tous vieux maintenant et il ne reste pas d’enfants. Ils me manquent et
le malheureux Druidan n’a plus personne à courser. Pellinore extravague,
Morgane est aigrie.
— Ne
l’a-t-elle pas toujours été ? demandai-je d’un ton léger.
— Elle a
perdu son pouvoir, expliqua-t-il. Non pas son pouvoir de lire les rêves ou de
guérir les malades, mais le pouvoir dont elle jouissait quand Merlin était ici
et qu’Uther était sur le trône. Elle en est froissée, Derfel, de même qu’elle
en veut à ta Nimue. » Il s’arrêta, pensif. « Elle a été
particulièrement fâchée lorsque Guenièvre a envoyé chercher Nimue pour
combattre Sansum et son église de Durnovarie. Morgane estime que c’est elle
qu’il aurait fallu appeler, mais on dit que la dame Guenièvre ne veut que des
beautés autour d’elle. Que pourrait faire Morgane ? » Il posa la
question en riant sous cape. « Mais elle est encore une femme de tête,
Derfel, et elle a l’ambition de son frère, si bien qu’elle ne se contentera pas
de croupir ici à écouter les rêves des rustres et à broyer les herbes pour
soigner la fièvre lactée. Elle crève d’ennui ! Elle s’ennuie tellement
qu’elle joue même au lancer de balle avec ce scélérat d’évêque Sansum du
sanctuaire. Pourquoi l’a-t-on envoyé à Ynys Wydryn ?
— Parce
qu’on ne voulait pas de lui
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