Le Roi de l'hiver
pressaient plus d’une centaine de guerriers irlandais. Ces hommes se
mirent en branle vers le sud, dans l’intention de contourner les spectres
vengeurs de la clôture. D’ici une demi-heure, calculai-je, ces Blackshields
prendraient part à la dernière attaque de Cuneglas et j’allai voir Nimue.
« Traverse la rivière, tu sais nager, hein ? »
Elle tendit sa
main gauche avec la cicatrice. « Tu meurs ici Derfel, donc je meurs ici.
— Tu
dois...
— Tenir
ta langue, voilà ce que tu dois faire. » Puis se levant sur la pointe des
pieds elle me donna un baiser sur la bouche. « Tue Gundleus pour moi avant
de mourir », m’implora-t-elle.
L’un de nos
lanciers entonna le Chant de la mort de Werlinna et tous les autres reprirent
la lente et triste mélodie. Son manteau noir foncé par le sang, Cavan frappa le
soc de sa lance avec une pierre. « Je n’aurais jamais cru qu’on en
arriverait là, lui dis-je.
— Moi non
plus », répondit-il, en levant les yeux. Sa queue de loup était maculée de
sang, son casque était éventré et un bandage déchiré entourait sa cuisse
gauche.
« Je
croyais avoir de la chance, dis-je. Je l’ai toujours cru, mais peut-être est-ce
le cas de chaque homme.
— Pas de
chaque homme. Seigneur, non, juste les meilleurs des chefs. »
Je lui
adressai un sourire reconnaissant. « J’aurais aimé voir le rêve d’Arthur
se réaliser.
— En ce
cas, il n’y aurait pas de travail pour les guerriers, répondit-il d’un air
buté. Nous serions tous des clercs ou des paysans. Peut-être est-ce mieux
ainsi. Un dernier combat, et en route pour les Enfers au service de Mithra.
Nous y aurons du bon temps, Seigneur. Des femmes potelées, des bonnes bagarres,
de l’hydromel robuste et de l’or en quantité pour l’éternité.
— Je
serai ravi de te retrouver là-bas. » En vérité, cependant, toute étincelle
de joie m’avait déserté. Je n’étais pas encore prêt à rejoindre l’Au-Delà, pas
tant que Ceinwyn serait encore de ce monde. Je pressai l’armure contre ma
poitrine pour sentir sa petite broche et je songeai à la folie qui allait
maintenant suivre son cours. Je prononçai son nom tout haut, ce qui laissa
Cavan perplexe. J’étais amoureux, mais je mourrais sans jamais tenir la main de
mon aimée ni revoir son visage.
Puis force me
fut d’oublier Ceinwyn car, plutôt que de contourner la barrière, les
Blackshields avaient décidé de braver les spectres et de la franchir. Un druide
était apparu sur la colline pour les conduire à travers la ligne des esprits.
Nimue vint se placer à côté de moi, les yeux tournés vers la colline où le
grand personnage à capuche et robe blanches dévalait la pente à grandes
enjambées. Les Irlandais le suivirent et, derrière leurs boucliers noirs et
leurs longues lances, suivaient les requis du Powys chargés d’arcs, de bigots,
de haches, de lances, de cannes et de fourches.
Mes hommes
cessèrent de chanter. Ils levèrent leurs lances et s’assurèrent que le mur de
boucliers était de nouveau bien ajusté. L’ennemi, qui avait préparé son mur pour
nous attaquer, se retourna pour voir le druide guider les Irlandais au creux de
la vallée. Iorweth et Tanaburs se précipitèrent à sa rencontre, mais le druide
agita son long bâton pour leur ordonner de s’écarter de son chemin puis rejeta
son capuchon et nous vîmes sortir de la couverture noire la longue barbe
blanche nattée et la queue de cheval. C’était Merlin.
Le voyant,
Nimue cria et courut vers lui. L’ennemi s’écarta pour la laisser passer, de
même qu’il recula pour faire place à Merlin. Même sur un champ de bataille un
druide pouvait aller où bon lui semblait, et celui-ci était le plus célèbre et
le plus puissant de tout le pays. Nimue courut et Merlin tendit les bras pour
la recevoir : elle sanglotait encore quand enfin elle le retrouva et jeta
ses maigres bras autour de son corps. Soudain, j’en fus ravi pour elle.
Gardant un
bras autour de Nimue, Merlin s’approcha de nous. Gorfyddyd avait vu l’arrivée
du druide et lançait maintenant son cheval au galop pour nous rejoindre. Merlin
leva son bâton pour saluer le roi, mais ignora ses questions. Les guerriers
irlandais s’étaient arrêtés au pied de la colline, où ils formaient maintenant
leur sinistre mur de boucliers noirs.
Merlin se
dirigea vers moi et, de même que le jour où il m’avait sauvé la vie à Caer Sws,
il arborait un air froid et
Weitere Kostenlose Bücher