Le Roi de l'hiver
air triste. J’étais barbouillé de sang, couvert de boue,
ruisselant de sueur, contusionné et meurtri ; il était élégant avec sa
petite armure d’écailles et son casque surmonté de plumes d’aigle. Il esquissa
un vague sourire. « Je sais que tu n’es pas Arthur, car je l’ai vu à
cheval mais, qui que tu sois, tu t’es battu noblement. Je t’offre la
vie. »
Je retirai le
casque trempé et le lançai au centre de notre demi-cercle. « Tu me
connais, Seigneur Prince.
— Seigneur
Derfel. » Il me nomma puis me rendit les honneurs. « Seigneur Derfel
Cadarn, si je me porte garant de ta vie et de celle de tes hommes, te
rendras-tu ?
— Seigneur
Prince, ce n’est pas moi qui commande ici. Adresse-toi à Seigneur
Sagramor. »
Celui-ci se
posta à côté de moi et retira son casque noir à pointe. Une lance l’avait
transpercé, en sorte que ces cheveux noirs crépus étaient maintenant collés par
le sang. « Seigneur Prince, dit-il d’un air las.
— Je
t’offre la vie, reprit Cuneglas, dès lors que tu te rends. »
Sagramor
pointa son épée recourbée vers l’endroit où les cavaliers d’Arthur dominaient
la partie nord de la vallée. « Mon seigneur ne s’est pas rendu, je ne
saurais le faire. Néanmoins – il haussa la voix – je libère mes
hommes de leur serment.
— Moi
aussi », lançai-je à mes hommes.
Certains
furent tentés de quitter les rangs, j’en suis sûr, mais leurs camarades leur
grognèrent de rester, ou peut-être ce grondement n’était-il que provocations
d’hommes épuisés. Le prince Cuneglas attendit quelques secondes, puis retira
d’une bourse accrochée à sa ceinture deux petits torques d’or. Il nous sourit.
« Je salue ta vaillance, Seigneur Sagramor. Je te salue, Seigneur
Derfel. » Il lança l’or à nos pieds. Je ramassai le mien et en écartai les
extrémités pour le passer à mon cou. « Et Derfel Cadarn ? »
ajouta Cuneglas. Son visage rond et chaleureux s’était illuminé.
« Seigneur
Prince ?
— Ma sœur
m’a demandé de te saluer. Ce que je fais. »
À ces mots,
mon âme si près de la mort parut bondir de joie. « Transmets-lui mes
salutations, Seigneur Prince, et dis-lui que j’attendrai avec impatience de la
retrouver dans l’Au-Delà. » Puis la pensée que je ne reverrais plus
Ceinwyn ici-bas eut raison de ma joie et, soudain, j’eus envie de pleurer.
Cuneglas vit
ma tristesse. « Rien ne t’oblige à mourir, Seigneur Derfel. Je t’offre la
vie et me porte garant de toi. Je t’offre mon amitié aussi, si tu en veux.
— J’en
serais honoré, Seigneur Prince, mais aussi longtemps que mon seigneur se
battra, je me battrai. »
Sagramor
recoiffa son casque, tressaillant de douleur lorsque le métal glissa sur la
blessure de son cuir chevelu. « Je te remercie, Seigneur Prince, dit-il à
Cuneglas, et choisis de te combattre. »
Cuneglas
s’éloigna à cheval. Je regardai mon épée, ébréchée et gluante, puis me tournai
vers les survivants. « Au moins assurons-nous que l’armée de Gorfyddyd ne
puisse marcher sur la Dumnonie avant longtemps. Et peut-être jamais ! Qui
voudrait combattre par deux fois des hommes comme nous ?
— Les
Irlandais Blackshields », grogna Sagramor en lançant la tête vers la
colline où la barrière-fantôme avait tenu notre flanc toute la journée. Là,
derrière les pieux chargés de sortilèges, se trouvait une bande avec les
boucliers noirs et ronds et les longues lances redoutables des Irlandais.
C’était la garnison de la colline de Coel, les Blackshields d’Œngus Mac Airem
venus participer au massacre.
*
Arthur se
battait toujours. Il avait taillé en pièces un tiers de l’armée ennemie, mais
le reste le tenait toujours en échec. Il revenait inlassablement à la charge
pour enfoncer le mur de boucliers mais aucun cheval sur terre ne pouvait
franchir un pareil fourré d’hommes, de boucliers et de lances. Llamrei
elle-même lui fit défaut. Tout ce qu’il lui restait à faire maintenant, me
dis-je, c’était de plonger Excalibur dans le sol gorgé de sang en espérant que
le Dieu Gofannon volerait à son secours depuis les plus sombres abysses des
Enfers.
Mais aucun
Dieu ne vint, ni aucun homme de Magnis. Nous sûmes plus tard que certains
volontaires s’étaient mis en marche, mais ils arrivèrent trop tard.
Les requis du
Powys restaient sur la colline, trop effrayés pour avancer, tandis qu’à côté
d’eux se
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