Le Roi de l'hiver
d’autres avec leurs épées.
Et l’espace
d’un instant, d’un instant de gloire, je crus que l’ennemi allait céder, mais
Gorfyddyd perçut lui aussi le danger et il cria à ses hommes de former un
nouveau mur de boucliers, face au nord. Il sacrifiait ses arrières pour former
une nouvelle ligne de lances avec les derniers rangs de ses avants. Owain ne
s’était pas trompé quand, de longues années auparavant, il m’avait assuré que
les chevaux d’Arthur eux-mêmes ne pourraient enfoncer un mur de boucliers bien
constitué. De fait, Arthur avait semé la panique et la mort dans un tiers de
l’armée de Cuneglas, mais le reste s’était convenablement rassemblé et défiait
sa poignée de cavaliers.
Et l’ennemi
nous était encore très supérieur en nombre.
Derrière la
barricade, notre ligne n’avait nulle part plus de deux hommes
d’épaisseur ; par endroits, il n’y en avait plus qu’un. Arthur n’avait pas
réussi à pousser jusqu’à nous, et Gorfyddyd savait que jamais Arthur n’y
parviendrait tant qu’il opposerait aux chevaux un mur de boucliers. Il planta
son mur, abandonnant le tiers perdu de son armée à la merci d’Arthur puis
retourna le reste de ses troupes contre le mur de Sagramor. Gorfyddyd savait
maintenant la tactique d’Arthur et il l’avait déjouée, si bien qu’il pouvait
désormais jeter ses lanciers dans la bataille avec une nouvelle assurance, bien
que cette fois, plutôt que de nous attaquer sur toute la ligne, il concentra
ses forces à l’ouest de la vallée afin d’essayer de nous déborder sur notre
flanc gauche.
Les hommes de
ce flanc se battirent, tuèrent et périrent, mais peu d’hommes auraient pu tenir
longtemps, et personne ne l’aurait pu dès lors que les Siluriens de Gundleus
nous débordèrent en grimpant sur les contreforts de la colline, sous
l’effroyable barrière-fantôme. L’attaque fut brutale et la défense tout aussi
terrible. Morfans lança ses derniers cavaliers contre les Siluriens, Nimue
cracha ses malédictions et les hommes encore frais de Tristan se battirent
comme des champions, mais si nous avions été ne serait-ce que deux fois plus
nombreux nous aurions pu arrêter la manœuvre. Comme un serpent reculant, notre
mur s’effondra sur la rive pour aussitôt se reformer en un demi-cercle défensif
autour des deux bannières et des rares blessés que nous avions réussi à
emporter avec nous. Ce fut un moment terrible. Je vis notre mur se disloquer,
puis l’ennemi commencer à massacrer les hommes dispersés et je rejoignis en
courant la mêlée des survivants. Nous eûmes tout juste le temps de former un
mur de fortune pour regarder les forces de Gorfyddyd traquer et trucider nos
fugitifs. Tristan survécut, de même que Galahad et Sagramor, mais c’était une
piètre consolation car nous avions perdu la bataille et il ne nous restait plus
qu’à mourir en héros. Dans la moitié nord de la vallée, le mur tenait Arthur en
échec, tandis qu’au sud notre mur, qui avait résisté toute la journée à ses
ennemis, avait été enfoncé. Et ce qu’il en restait était cerné. Nous étions
plus de deux cents au début de la bataille ; à peine plus de cent avaient
survécu.
Le prince
Cuneglas s’avança pour nous demander de nous rendre. Son père commandait les
hommes qui affrontaient Arthur et le roi du Powys abandonna volontiers la
destruction des derniers lanciers de Sagramor à son fils et au roi Gundleus. Au
moins Cuneglas s’abstint-il de faire outrage à mes hommes. Il gourma son cheval
à une douzaine de pas de notre ligne et leva une main droite en signe de trêve.
« Hommes de Dumnonie ! lança-t-il. Vous vous êtes bien battus, mais
se battre encore, c’est mourir. Je vous offre la vie.
— Sers-toi
de ton épée une fois avant de demander à des braves de se rendre !
criai-je.
— Tu as
peur de te battre, hein ? » railla Sagramor, car, jusque-là, aucun de
nous n’avait vu Gorfyddyd, Cuneglas ou Gundleus en première ligne du mur
ennemi. Le roi Gundleus était resté assis sur son cheval, à quelques pas
derrière le prince. Nimue fulminait ses malédictions, mais savait-il qu’elle
était là, je ne saurais le dire. S’il le savait, il n’avait aucun souci à se
faire, car nous étions tous pris au piège maintenant et à coup sûr condamnés.
« Ou
alors affronte-moi, maintenant ! criai-je à
Cuneglas. D’homme à homme, si tu l’oses. »
Cuneglas me
considéra d’un
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