Le Roi de l'hiver
tombé si ses acolytes ne l’avaient retenu.
J’espérais bien le voir chuter mais il se débrouillait toujours pour retrouver
son équilibre.
Son prêche
commença de manière assez conventionnelle. Il remercia Dieu de la présence des
grands rois et des puissants princes venus entendre la Bonne Parole, puis
adressa quelques compliments fleuris au roi Tewdric avant de se lancer dans une
diatribe exposant la vision chrétienne de la Bretagne. Ainsi que je m’en
aperçus plus tard, c’était plus un discours politique qu’un sermon.
L’île de
Bretagne, affirma Sansum, était chérie de Dieu. C’était une terre à part,
isolée des autres pays et entourée d’une mer vive qui la défendait des
épidémies, des hérésies et des ennemis. La Bretagne, poursuivit-il, était aussi
bénie par les grands souverains et les valeureux guerriers, mais ces derniers
temps des étrangers avaient déchiré l’île et mis à sac ses champs, ses granges
et ses villages. Les Saïs païens, les Saxons, s’emparaient de la terre de nos
ancêtres et la transformaient en friches. Les redoutables Saïs profanaient les
tombes de nos pères, ils violaient nos femmes et massacraient nos enfants, et
de pareilles choses, affirma Sansum, ne pourraient arriver sans la volonté de
Dieu. Pourquoi Dieu tournait-il donc ainsi le dos à ses enfants chéris ?
Parce que,
expliqua-t-il, ces enfants avaient refusé d’entendre son saint message. Les
enfants de la Bretagne s’obstinaient à courber l’échine devant le bois et la
pierre. Les prétendus bosquets sacrés étaient encore là et leurs sanctuaires,
baignés du sang des sacrifices, abritaient encore les crânes des morts. On
n’aurait pu voir de pareilles choses en ville, observa Sansum, car la plupart
des cités étaient pleines de chrétiens, mais les campagnes, nous mit-il en
garde, étaient infestées de païens. Sans doute restait-il peu de druides en
Bretagne, mais il n’était de vallée ou de terre agricole où des hommes et des
femmes ne se conduisaient comme des druides, sacrifiant des êtres vivants à une
pierre morte, usant de charmes et d’amulettes pour jobarder les braves gens.
Même les chrétiens, et ici Sansum tança l’assemblée, conduisaient leurs malades
auprès des sorciers et confiaient leurs rêves à des prophétesses païennes, et
aussi longtemps qu’on encouragerait ces vilaines pratiques Dieu continuerait à
accabler la Bretagne de viols, de massacres et de Saxons ! Il s’arrêta
pour reprendre son souffle et je portai la main à mon torque, parce que je
savais que cet énergumène était l’ennemi de mon maître Merlin et de mon amie
Nimue. Nous avions péché ! Soudain, Sansum cria, ouvrant grands les bras
pour se pencher sur la table. Nous devions tous nous repentir. Les rois de
Bretagne doivent aimer le Christ et sa Sainte Mère, et ce n’est que le jour où
toute la race des Bretons sera unie en Dieu que Dieu réunira la Bretagne. La
foule répondait maintenant à son sermon, l’approuvant de vive voix, implorant
la miséricorde de Dieu et réclamant la mort des druides et de leurs affidés.
C’était terrifiant.
« Viens,
chuchota Nimue. J’en ai assez entendu. »
Nous nous laissâmes
glisser en bas de notre piédestal pour nous faufiler à travers la foule qui
emplissait le vestibule sous les piliers extérieurs. À ma grande honte, je
serrai mon manteau sous mon menton imberbe afin que nul ne pût voir mon torque
et, sur les pas de Nimue, descendis les marches qui débouchaient la place
venteuse illuminée de tous côtés par les flammes déchaînées des torches. Une
pluie fine qui venait de l’ouest faisait briller les pierres à la lueur du feu.
La garde en uniforme de Tewdric était postée, impassible, tout autour de la
place. Nimue m’entraîna au centre puis, s’arrêtant, se mit à rire. Au départ,
ce ne fut qu’un gloussement, mais c’était un rire moqueur qui se métamorphosa
en hurlement de défi qui, par-delà les toits de Glevum, se répercuta en écho
dans les cieux, et finit en cris aigus aussi sauvages que les hurlements d’une
bête aux abois. Tout en poussant son cri, elle tourna sur elle-même, suivant la
course du soleil du nord vers l’est, puis de l’est vers le sud puis vers
l’ouest, et de nouveau vers le nord, sans qu’aucun soldat ne remue. Sous le
portique de la grande halle, quelques chrétiens nous regardaient contrariés,
mais personne n’intervint. Quand quelqu’un était touché
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