Le Roi de l'hiver
ancien
territoire, ils étaient convenus de verser au Grand Roi un tribut annuel d’or,
de blé et de bœufs. Priez Dieu, ajouta-t-il, que la paix soit durable.
« Priez
Dieu, trancha le roi Tewdric, que les Saxons soient chassés de ces
terres ! »
À ces mots,
tous les guerriers qui se trouvaient au fond et sur les côtés de la salle
frappèrent le sol de la hampe de leurs lances, et il en est au moins une qui se
brisa sur les petits carreaux de mosaïque. Des chiens grondèrent.
Au nord de la
Dumnonie, poursuivit Bedwin quand le tonnerre d’applaudissements eut cessé, la
paix régnait grâce au très sage traité d’amitié qui existait entre le Grand Roi
et le noble roi Tewdric. À l’ouest, et ici Bedwin marqua un temps de pause pour
gratifier d’un sourire le bel et jeune prince Tristan, régnait aussi la paix.
« Le royaume du Kernow, reprit Bedwin, fait bande à part. Nous comprenons
que le roi Marc ait pris une nouvelle épouse et nous prions qu’à l’instar de
ses distinguées devancières elle sache tenir son maître pleinement
occupé. » Le propos déclencha une discrète vague d’hilarité.
« Ça fait
combien ? demanda brusquement Uther. C’est la quatrième ou la
cinquième ?
— Je
crois bien que mon père lui-même n’en sait plus trop rien, Grand
Seigneur », répondit Tristan. Toute la salle hurlait de rire. D’autres
carreaux s’émiettèrent sous les coups de hampe et quelques fragments vinrent se
loger tout contre mon pied.
Ce fut ensuite
au tour d’Agricola de prendre la parole. Affublé d’un nom romain, il était
connu pour son adhésion aux mœurs romaines. Agricola commandait les troupes de
Tewdric et, bien qu’il fût maintenant d’un âge avancé, on le craignait toujours
pour son habileté dans la bataille. Et si l’âge n’avait point voûté sa haute
stature, elle avait rendu ses cheveux courts aussi gris qu’une lame d’épée. Son
visage balafré était rasé de près, et il portait un uniforme romain autrement
plus imposant que l’accoutrement de ses hommes. Sa tunique était écarlate, son
plastron et ses jambières d’argent et, sous le bras, il tenait un casque
d’argent emplumé d’une queue de cheval teinte taillée en forme de peigne
écarlate et raide. Lui aussi rapporta que les Saxons, à l’est du royaume de son
seigneur, avaient été vaincus, mais les nouvelles des Terres Perdues de Lloegyr
étaient préoccupantes, car il s’était laissé dire que d’autres navires saxons
traversaient la mer de Germanie. Et il y alla de sa mise en garde : à plus
ou moins brève échéance, cette arrivée de nouveaux bâtiments sur les côtes
saxonnes ne pourrait que renforcer la pression des troupes saxonnes à l’ouest.
Agricola nous mit aussi en garde contre un nouveau chef saxon, un dénommé
Aelle, qui cherchait à s’imposer parmi les Saïs. C’est la première fois que
j’entendais ce nom, et seuls les Dieux savaient alors combien il devait venir
nous hanter au fil des ans.
Pour le
moment, poursuivit Agricola, les Saxons se tenaient peut-être tranquilles, mais
ils n’étaient pas venus apporter la paix au royaume du Gwent. Des bandes de
soldats bretons étaient venus au sud, du Powys, d’autres avaient marché à
l’ouest, depuis la Silurie, pour attaquer le pays de Tewdric. Des messages
avaient été dépêchés dans les deux royaumes, invitant leurs monarques à se
rendre à ce conseil mais, hélas — Agricola fit ici un geste en direction
des deux sièges vides sur l’estrade royale –, ni Gorfyddyd de Powys ni
Gundleus de Silurie n’étaient venus. Tewdric ne pouvait dissimuler sa
déception, car de toute évidence il avait espéré que le Gwent et la Dumnonie
pourraient faire la paix avec leurs deux voisins septentrionaux. À mon sens,
c’est cet espoir de paix qui avait conduit Uther à inviter Gundleus à rendre
visite à Norwenna au printemps, mais les trônes vacants ne semblaient exprimer
qu’une hostilité persistante. À défaut de paix, prévint sèchement Agricola, le
roi du Gwent n’aurait d’autre solution que de faire la guerre à Gorfyddyd de
Powys et à son allié, Gundleus de Silurie. Uther hocha la tête, comme pour
consentir à la menace.
Plus au nord,
ajouta Agricola, on avait appris que Leodegan, roi de Henis Wyren, avait été
chassé de son royaume par Diwrnach, l’envahisseur irlandais qui avait donné le
nom de Lleyn aux terres qu’il venait de conquérir. Dépossédé, Leodegan
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