Le Roi de l'hiver
Merlin d’Avalon fût aussi un
druide, ce qui le mettait carrément en dehors de toute hiérarchie. Cadwy était
tout à la fois prince et chef, et il régnait sur une tribu tentaculaire
dispersée entre Isca et la frontière de Kernow. Il fut un temps où toutes les
tribus de Bretagne étaient séparées, et un homme de Catuvellani n’avait rien à
voir avec un Belge, mais les Romains nous avaient tous laissés très semblables
les uns aux autres. Seules certaines tribus, comme celle de Cadwy, conservaient
encore leurs signes particuliers. Les gens de sa tribu se croyaient supérieurs
aux autres Bretons, en vertu de quoi ils avaient le visage tatoué de symboles
de leur tribu et de leur sept. Chaque vallée avait son sept, qui ne comptait
généralement pas plus d’une douzaine de familles. Entre les septs, la rivalité
était âpre, mais elle n’était rien en comparaison de ce qu’elle était entre la
tribu du prince Cadwy et le reste de la Bretagne. La capitale tribale était
Isca, la ville romaine, qui avait de belles murailles et des bâtiments de
pierre qui n’avaient rien à envier à ceux de Glevum, bien que Cadwy préférât
vivre hors de la ville, sur son domaine. La plupart des citadins avaient adopté
les mœurs romaines et dédaignaient les tatouages mais, au-delà des murailles,
dans les vallées où la présence romaine n’avait jamais été bien pressante,
chacun – homme, femme et enfant – portait une marque bleue sur la
joue. C’était aussi un pays riche, que le prince Cadwy songeait cependant à
rendre plus riche encore.
« Vous
avez été sur la lande ces derniers temps ? » demanda-t-il à Owain ce
soir-là. La nuit était chaude et douce, et le souper avait été servi sous le
portique qui donnait sur les terres de Cadwy.
« Jamais »,
répondit Owain.
Cadwy
grommela. Je l’avais vu au Grand Conseil d’Uther, mais, pour la première fois,
j’eus l’occasion de voir de près l’homme qui avait à charge de protéger la
Dumnonie des incursions du Kernow ou de la lointaine Irlande. Le prince était
un homme d’âge mûr, petit, chauve et trapu, avec des marques tribales sur les
joues, les bras et les jambes. Il était habillé à la bretonne, mais il aimait
sa villa romaine avec ses dalles et ses colonnes, et l’eau acheminée par des
chêneaux de pierre jusqu’à la cour centrale puis au portique, où avait été
aménagé un petit bassin pour se laver les pieds, avant de franchir un petit
barrage et de rejoindre le cours d’eau dans la vallée. Cadwy, me dis-je, vivait
dans l’aisance. Ses récoltes étaient abondantes, ses moutons et son bétail
gras, et ses nombreuses femmes heureuses. Il était aussi loin des menaces des
Saxons, et pourtant il n’était pas satisfait. « Il y a de l’argent sur la
lande, dit-il à Owain. De l’étain.
— De
l’étain ? » fit Owain d’une voix dédaigneuse.
Cadwy confirma
d’un mouvement solennel de la tête. Il était passablement éméché, mais tel
était le cas de la plupart des hommes réunis autour de la table basse sur
laquelle avait été servi le repas. Tous étaient des guerriers – des
hommes de Cadwy ou d’Owain –, même si moi, étant le cadet, je dus me
placer derrière la couche d’Owain, en tant que porte-bouclier. « De
l’étain, reprit Cadwy, et de l’or, si ça se trouve. Mais beaucoup d’étain. »
C’était une conversation privée, car le repas était presque terminé et Cadwy
avait offert des esclaves aux guerriers. Nul ne prêtait la moindre attention
aux deux chefs, excepté moi et le porte-bouclier de Cadwy, un gaillard avachi
qui lorgnait d’un œil terne et la mâchoire pendante les gambades des filles.
J’écoutais Owain et Cadwy, mais demeurais si calme et si droit qu’ils en
oublièrent sans doute ma présence. « Peut-être n’en as-tu pas envie, fit
Cadwy, mais il y en a beaucoup qui le convoitent. On ne peut pas faire de
bronze sans étain, et ils paient ce minerai un joli prix en Armorique, sans
parler du nord du pays. » D’un geste de mépris, il pointa son poignet vers
le reste de la Dumnonie, puis lâcha un rot qui parut le surprendre. Il calma sa
bedaine d’une rasade de bon vin, puis fronça les sourcils comme s’il avait du
mal à se souvenir de quoi il venait de parler.
« L’étain,
fit-il enfin, ayant retrouvé la mémoire.
— Alors,
raconte-moi ça », dit Owain. Il regardait l’un de ses hommes qui avait déshabillé
une esclave et
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