Le Roman d'Alexandre le Grand
l’un
d’eux prit une gourde pour se désaltérer, d’autres tirèrent de leurs sacoches
du pain, du fromage, des olives et des figues sèches, et s’assirent sur le sol
pour manger, car c’était l’heure du repas. Un membre de la garde fut envoyé au
sommet d’une hauteur pour qu’il signale à temps l’arrivée d’Alexandre.
Plusieurs heures s’écoulèrent et le
soleil commença à décliner vers les cimes du Pinde.
« C’est une mauvaise route,
crois-moi, ne cessait de répéter Callisthène. Infestée de brigands. Je ne
serais pas surpris de…
— Bah, les brigands !
s’exclama Philotas. Nos amis n’en feraient qu’une bouchée. Ils ont passé
l’hiver dans les montagnes d’Illyrie, ne sais-tu pas ce que cela
signifie ? »
Mais Eumène regardait la colline et
l’homme qui agitait un drapeau rouge.
« Ils arrivent »,
annonça-t-il tout bas.
Un peu plus tard, la sentinelle
décocha une flèche qui se planta dans la terre, non loin d’eux.
« Ils sont tous là, dit le
secrétaire. Il ne manque personne. » Il s’exprimait comme s’il ne croyait
pas à ses propres mots. Entre-temps, l’homme avait dévalé la colline.
« Gardes ! À
cheval ! » ordonna Philotas. Les douze cavaliers bondirent sur leurs
chevaux et s’alignèrent sur la route, lance au poing.
Eumène et Callisthène se mirent en
route, à pied, au moment même où la troupe d’Alexandre se profilait sur un
ensellement de la colline.
Ils chevauchaient tous les huit,
côte à côte, enveloppés d’un halo de lumière pourpre, dans le nuage doré que le
soleil répandait en se couchant derrière eux. La distance et le martèlement des
sabots de leurs chevaux créaient un étrange effet : on aurait dit qu’ils
étaient suspendus dans les airs, qu’ils venaient d’une autre époque, d’un lieu
magique et reculé, des confins du monde.
Ils gagnèrent la rive du fleuve et
traversèrent le gué à toute allure, comme s’ils ne pouvaient supporter les
derniers instants qui les séparaient encore de leur patrie. Dans leur
piétinement tourbillonnant, les jambes de leurs chevaux provoquèrent une nuée
de vapeur irisée contre les derniers feux du couchant, à l’ouest.
Eumène se frotta les yeux avec la
manche de sa tunique et se moucha bruyamment. Sa voix tremblait. « O dieux
du ciel, ce sont eux… Ce sont eux ! »
Alors une silhouette à la longue
chevelure dorée, resplendissant dans son armure de cuivre fauve, bondit hors de
l’eau dans un bouillonnement d’écume, se détacha du groupe et se lança dans une
course effrénée, faisant trembler la terre des sabots de son étalon.
Philotas s’écria :
« Gardes, en position ! » Et les douze guerriers se serrèrent
l’un contre l’autre, la tête droite, la poitrine en avant, le dos tendu et
levant bien haut la pointe de leur lance.
Eumène ne put contenir son émotion.
« Alexandre…, balbutia-t-il
entre ses larmes. Alexandre est revenu. »
36
Eumène et Callisthène accompagnèrent
Alexandre jusqu’au bureau de Philippe. Eumène frappa à la porte. Quand il
entendit la voix du roi inviter son fils à entrer, il posa la main sur l’épaule
de son ami et lui dit non sans embarras : « Si ton père devait
mentionner la lettre que tu m’as écrite, ne te montre pas surpris. Je me suis
permis de faire le premier pas en ton nom. Sinon, à l’heure qu’il est, tu
serais encore dans les montagnes au milieu des neiges. »
Devinant enfin ce qui s’était passé,
Alexandre lança à son ami un regard stupéfait, mais il était bien obligé
d’entrer, et c’est ce qu’il fit.
Malgré une absence de moins d’un an,
il trouva son père vieilli : les rides qui sillonnaient son front
semblaient plus profondes, et ses tempes prématurément blanchies.
Il prit la parole le premier :
« Je suis content de constater que tu es en bonne santé, père.
— Moi aussi, répliqua le roi.
Tu m’as l’air plus robuste, et je suis heureux que tu sois de retour. Tes amis
se portent-ils bien ?
— Oui, ils vont tous bien.
— Assieds-toi. »
Alexandre s’exécuta. Le souverain
saisit une carafe et de deux coupes.
« Un peu de vin ?
— Oui, merci. »
Pendant que Philippe s’approchait,
Alexandre, instinctivement, se leva et put ainsi observer son père de plus
près. Il vit son œil éteint et lut la lassitude qui sculptait son front.
« Je bois à ta santé, père, et
à l’entreprise que tu vas mener à bien en
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