Le Roman d'Alexandre le Grand
d’alliances
matrimoniales. En outre, il avait créé une armée d’une ampleur extraordinaire,
constituée d’unités d’infanterie lourde particulièrement puissantes, d’unités
d’infanterie légère très mobiles et d’escadrons de cavalerie qui n’avaient pas
leur pareil sur les rives de la mer Égée. Mais tout cela n’avait pas suffi à
faire de lui un Grec aux yeux du monde. Comme Démosthène, nombre d’orateurs et
d’hommes politiques d’Athènes, de Corinthe, de Mégare et de Sicyone continuaient
de le surnommer Philippe le Barbare. Ils se moquaient de l’accent des
Macédoniens, marqué par l’influence des peuples sauvages qui se pressaient à
leurs frontières septentrionales, des monstrueux excès avec lesquels ils
s’adonnaient à l’alcool, à la nourriture et au sexe au cours de leurs banquets,
qui dégénéraient régulièrement en orgies. Et ils jugeaient barbare un État
encore fondé sur les liens du sang, et non sur le droit de citoyenneté,
gouverné par un souverain qui pouvait distribuer des ordres à tout le monde et
se dresser au-dessus des lois.
Philippe atteignit son objectif
quand il réussit enfin à l’emporter sur les Phocéens au cours de la guerre
sacrée, obtenant leur expulsion du conseil du sanctuaire, la plus noble
assemblée de toute la Grèce. Les deux voix dont leurs représentants disposaient
furent offertes au roi des Macédoniens, qui reçut la charge hautement
honorifique de président des jeux Pythiques, les plus prestigieux après les
Olympiades.
Ce fut le couronnement de dix années
d’efforts, et il correspondit avec les dix ans de son fils Alexandre.
Au cours de cette période, un grand
orateur athénien du nom d’Isocrate prononça un discours exaltant qui présentait
Philippe comme le protecteur des Grecs et le seul homme capable d’assujettir les
barbares de l’Orient : les Perses, qui, depuis un siècle, menaçaient la
civilisation et la liberté helléniques.
Alexandre fut pleinement informé de
ces événements par ses précepteurs, et ces nouvelles le remplirent
d’inquiétude. Il se sentait assez grand pour tenir le rôle qui lui était
imparti dans l’histoire de son pays, mais il savait qu’il était encore trop
jeune pour agir.
Au fur et à mesure qu’il
grandissait, son père lui consacrait de plus en plus de temps, comme s’il le
considérait désormais comme un homme. Cependant il l’écartait encore de ses
projets les plus audacieux. En effet, dominer les États de la Grèce
péninsulaire n’était pas l’objectif de Philippe, mais seulement un moyen d’y
parvenir : son regard se tournait au-delà de la mer, vers les immenses
territoires de l’Asie intérieure.
Parfois, lorsqu’il se trouvait dans
son palais de Pella pour une période de repos, il conduisait Alexandre sur la
tour la plus haute et lui indiquait l’Orient, où la lune jaillissait des flots.
« Tu sais ce qu’il y a, là-bas,
Alexandre ?
— L’Asie, papa, répondait-il.
Le pays du soleil levant.
— Et connais-tu l’étendue de
l’Asie ?
— Mon maître de géographie,
Cratippe, dit qu’elle mesure plus de dix mille stades.
— Il se trompe, mon fils.
L’Asie est cent fois plus grande. Quand je combattais sur le fleuve Istros,
j’ai rencontré un guerrier scythe qui parlait notre langue. Il m’a raconté
qu’au-delà du fleuve s’étendait une plaine aussi vaste que la mer, et que se
dressaient des montagnes assez hautes pour percer le ciel. Il m’a expliqué
qu’il y avait des déserts si grands que leur traversée demandait des mois, et,
à l’extrémité de ces déserts, des montagnes semées de pierres précieuses :
des lapis-lazuli, des rubis et des cornalines.
« Sur ces plaines, m’a-t-il
dit, courent des milliers de chevaux aussi fougueux que le feu, des animaux
infatigables, capables de voler des jours durant au-dessus d’un espace infini.
Il y a des régions, a-t-il ajouté, enserrées dans la glace et prisonnières de
la nuit pendant plus de six mois ; d’autres, brûlées par l’ardeur du
soleil à toutes les saisons : pas un brin d’herbe n’y pousse, les serpents
y sont tous venimeux et la piqûre d’un scorpion tue un homme en quelques
instants. » Telle est l’Asie, mon fils. »
Alexandre vit que les yeux de son
père étaient pleins de rêves. Il comprit alors ce qui brûlait dans l’âme de
Philippe.
Un jour – plus d’un an s’était
écoulé depuis cet entretien –, le roi
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