Le Roman d'Alexandre le Grand
je refuse de les voir traîner en Macédoine. Et je veux obtenir
le contrôle des Détroits entre la Thrace et l’Asie.
— Cela me convient, mon cher
beau-frère répliqua Alexandre, flatté d’être traité sur un pied d’égalité en
dépit de son jeune âge. Je comprends qu’il y a pour toi des choses beaucoup
plus importantes que les montagnes de l’Épire, mais si tu désires m’aider, je
t’en serai reconnaissant pour le reste de mes jours. »
Le raisonnement particulièrement mûr
d’Alexandre impressionna favorablement Philippe.
« Pourquoi ne restes-tu pas
avec nous ? lui demanda-t-il. La situation ne cessera de se détériorer en
Épire, et je préférerais te savoir en sécurité. Tu as ici ta sœur, la reine,
qui t’aime. Tu auras tes propres appartements, tes apanages et tous les égards
dus à ton rang. Quand le moment viendra, je te rétablirai moi-même sur le trône
de tes ancêtres. »
Le jeune roi accepta de bon gré, il
s’installa au palais royal de Pella en attendant que Philippe ait mené à bien
le programme politique et militaire qui allait faire de la Macédoine l’État le
plus riche, le plus fort et le plus redoutable d’Europe.
Blessée, la reine Olympias avait
regagné ses appartements où son frère viendrait la saluer et lui présenter ses
respects avant de se coucher. Les voix d’Héphestion et d’Alexandre qui jouaient
aux petits soldats, s’échappaient de la pièce voisine :
« Tu es mort !
— Non, c’est toi qui es
mort ! »
Puis le vacarme s’atténua et finit
par disparaître. L’énergie des petits guerriers s’éteignait bien vite lorsque
la lune surgissait dans le ciel.
5
Alexandre était âgé de sept ans, et son oncle, le roi d’Épire, de douze,
quand Philippe attaqua la ville d’Olynthe et la ligue chalcidique qui
contrôlaient la grande péninsule en forme de trident. Les Athéniens, alliés de
la ville, tentèrent de négocier, mais Philippe ne s’y montra pas disposé.
Il répondit : « Ou vous
quittez cette région, ou je quitte la Macédoine. » Ce qui ne leur laissait
pas une grande marge de manœuvre.
Le général Antipatros tenta de faire
valoir également d’autres aspects du problème, et dès que les envoyés d’Athènes
eurent abandonné d’un air furieux la salle du conseil, il observa :
« Ta décision favorisera tes ennemis à Athènes, en particulier Démosthène.
— Cela ne m’effraie pas,
commenta le roi en haussant les épaules.
— Oui mais ce n’est pas
seulement un bon politicien, c’est aussi un excellent orateur. Il est le seul à
avoir compris ta stratégie. Il a remarqué que tu n’utilises plus de troupes
mercenaires, mais que tu as formé une armée nationale, compacte et motivée, que
tu en as fait le pilier de ton trône. Et par conséquent, que tu es devenu l’ennemi
le plus dangereux d’Athènes. Il faut tenir compte des adversaires
intelligents. »
Philippe ne sut que rétorquer. Il se
contenta de dire : « Fais le surveiller par un de nos hommes, sur
place. Je veux savoir tout ce qu’il dit de moi.
— Je n’y manquerai pas,
sire », répondit Antipatros avant de sommer ses informateurs de le mettre
rapidement au courant des mouvements de Démosthène.
Mais les textes du grand orateur
étaient chaque fois source de problèmes. Dès qu’on les recevait, le roi se
hâtait de demander comment ils s’intitulaient. « Contre Philippe »,
lui répondait-on invariablement.
— Encore ? »,
hurlait-il en s’emportant.
S’il avait dîné ou déjeuné, il était
alors victime de tels épanchements de bile que la nourriture ingérée pendant le
repas finissait par lui nuire. Il arpentait son bureau comme un lion en cage,
tandis que son secrétaire lui lisait le texte ; il l’interrompait de temps
à autre en criant : « Qu’a-t-il dit ? Répète ! Répète,
malédiction ! » Et le pauvre homme avait le sentiment d’être lui-même
l’auteur de ces paroles.
Ce qui exaspérait le plus le
souverain était l’obstination avec laquelle Démosthène qualifiait la Macédoine
d’« État barbare et secondaire ».
« Barbare ? hurlait-il en
jetant à terre tout ce qui se trouvait sur sa table. Secondaire ? Je vais
lui montrer, moi, si je suis secondaire !
— N’oublie pas, sire,
soulignait le secrétaire en tentant de le calmer, que les réactions de la
population aux algarades de Démosthène sont plutôt tièdes. Les
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