Le Roman d'Alexandre le Grand
homme »,
affirma-t-il.
À l’évidence, la voyageuse était en
difficulté. Alexandre ôta son chapeau et l’examina de plus près. Sa beauté et
l’expression aristocratique de son regard le fascinèrent.
« Mon mari est grec, c’était…
le médecin du satrape de Phrygie. Je n’ai pas de nouvelles de lui depuis
longtemps et je crains qu’il ne lui soit arrivé malheur. Nous essayons de le
rejoindre.
— Mais pas maintenant :
c’est trop dangereux. Tu seras mon invitée pour cette nuit, et tu pourras
repartir demain avec une protection plus appropriée.
— Je t’en prie, puissant
seigneur, ne t’inquiète pas pour moi. Je suis sûre que tout ira pour le mieux.
Une longue route nous attend.
— Rassure-toi, tu n’as rien à
craindre pour ta personne ni pour celles de tes enfants. Personne n’osera te
manquer de respect. » Puis il ajouta à l’adresse de ses hommes :
« Escortez-la jusqu’au campement ! »
Il sauta à cheval et s’éloigna,
accompagné par ses gardes du corps qui ne l’avaient pas perdu de vue un seul
instant. En chemin, le petit groupe croisa Perdiccas, qui s’inquiétait de sa
disparition.
« Je suis le responsable de ta
sécurité, si seulement tu voulais me prévenir… »
Alexandre l’interrompit. « Il
ne s’est rien passé, mon ami, et je sais veiller sur moi-même. Comment se
déroule le dîner ?
— Le vin est trop fort :
les hommes n’y sont pas habitués.
— Il faudra qu’ils s’habituent
à bien pire. Viens, rentrons. »
L’arrivée de la charrette et des
gardes étrangers provoqua excitation et curiosité dans le campement. Péritas se
mit à aboyer et Leptine s’enhardit à poser des questions : « Qui
voyage dans ce véhicule ? Où les avez-vous trouvés ?
— Prépare un bain sous cette
tente, lui dit le roi, et des lits pour deux enfants et une femme.
— Une femme ? De qui
s’agit-il, mon seigneur ? »
Alexandre la foudroya du regard et
elle s’exécuta immédiatement. « Quand elle sera installée, ajouta-t-il,
dis-lui que je l’attends sous ma tente. »
Des cris d’ivrognes s’échappaient du
pavillon du conseil de guerre, à quelques mètres de là, ainsi que les sons
stridents des flûtes et des fifres, des petits rires de femmes. Mais tous ces
bruits étaient couverts par les hurlements de Léonnatos.
Alexandre ordonna qu’on lui apporte
un peu de nourriture, les premières figues de la saison, du miel et du lait,
puis il prit dans ses mains le portrait de Memnon qu’Apelle avait laissé sur sa
table et le contempla un moment, frappé par son expression mélancolique.
Il entreprit ensuite de lire le
courrier qui était arrivé au cours des derniers jours. Une lettre du régent
Antipatros lui faisait part d’une situation sereine, en dépit des intempérances
de la reine, qui réclamait un rôle dans des affaires qui n’étaient pas de son
ressort. Olympias se plaignait, quant à elle, du régent qui la privait de toute
liberté d’agir selon son rang et ses prérogatives.
Pas d’allusion aux somptueux
présents qu’il lui avait envoyés après la victoire du Granique. Peut-être ne
les avait-elle pas reçus.
18
Quand il détourna son regard de sa correspondance il s’aperçut qu’elle
se tenait devant lui. La tête découverte, les yeux soulignés par un trait noir
à l’égyptienne, le corps enroulé dans une tunique de lin vert à la facture
orientale, les cheveux rassemblés au sommet de son crâne et attachés par un
ruban d’argent à la manière grecque, l’invitée étrangère semblait refléter la
clarté lunaire dans laquelle elle lui était apparue.
Tandis que le roi s’approchait, elle
s’agenouilla pour lui baiser la main. « Je ne pouvais pas savoir, puissant
seigneur… Pardonne-moi. »
Alexandre la releva. Ses cheveux
dégageaient une odeur de violette qui l’étourdit. Jamais il n’avait désiré si
brusquement prendre une femme dans ses bras. La voyageuse s’en rendit compte.
Une force irrépressible, au fond des yeux du souverain, la captivait elle
aussi, comme une phalène attirée par la lumière d’une lanterne.
Elle baissa les yeux et dit :
« Mes enfants sont venus te rendre hommage. » Puis elle recula
jusqu’à l’entrée avant de s’effacer devant les deux adolescents.
Alexandre alla vers le plateau où
reposaient des mets et des fruits. « Mangez quelque chose, je vous en
prie, ne vous gênez pas », dit-il. Il se tourna vers les
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