Le Roman d'Alexandre le Grand
vent rendait désormais ingouvernables. Il les rejoignit et
les immobilisa en jetant sur les bastingages des câbles pourvus de grappins,
puis il les replaça dans leur position à la force des rames. Les filins des
ancres furent remplacés par des chaînes en fer et le martèlement put reprendre.
Mais, entre-temps, les Tyriens avaient garni leurs murs de sacs remplis
d’algues afin d’amortir les coups des béliers. La résistance obstinée de Tyr
semblait illimitée.
Un jour qu’Alexandre livrait
bataille contre une tribu montagnarde du Liban qui se montrait de plus en plus
agressive, un navire en provenance de Macédoine se présenta devant la nouvelle
jetée avec un chargement de provisions et de messages. On annonça à Parménion
une visite insolite : ayant entendu parler des exploits de son ancien
élève, Léonidas, à présent octogénaire, avait décidé de franchir la mer pour le
voir une dernière fois et le féliciter avant de mourir. Quand cette nouvelle se
répandit dans le camp, tous les anciens élèves du maître voulurent le
rencontrer. Séleucos, Léonnatos, Cratère, Perdiccas, Philotas, Ptolémée,
Héphestion et Lysimaque accoururent en chahutant comme des enfants et en criant
en chœur le vieux refrain qui faisait sortir le précepteur de ses gonds :
Ek kori kori korone ! Ek kori
kori korone !
« La voici qui arrive, la voici
la corneille ! »
Puis ils frappèrent dans leurs mains
en disant :
Didaskale ! Didaskale !
Didaskale !
En s’entendant appeler
« Maître ! Maître ! Maître ! » comme chaque matin, du
temps où ses élèves le saluaient, assis dans la classe, leurs tablettes sur
leurs genoux, le vieux Léonidas fut bouleversé. D’un air cependant
imperturbable, il les réprimanda.
« Silence ! marmonna-t-il
entre ses quelques dents. Vous êtes toujours les mêmes garnements ! Et je
parie que vous n’avez pas lu un seul livre depuis que vous avez quitté votre
domicile.
— Hé, maître ! s’écria
Léonnatos. Tu ne vas tout de même pas nous interroger maintenant, ne vois-tu
pas que nous sommes occupés ?
— Tu n’aurais jamais dû
entreprendre un tel voyage, lui dit Ptolémée, par ce temps et en cette saison.
Comment se fait-il que tu sois là ?
— J’ai entendu parler des
exploits de mon élève et je voulais le revoir avant de crever.
— Et nous ? demanda
Héphestion. Nous avons été plutôt doués, nous aussi ?
— Pour ce qui est de crever,
maître, tu as encore le temps, commenta Perdiccas. Tu aurais au moins pu
attendre la belle saison.
— Ah ! rétorqua Léonidas.
Je sais ce que je fais, et je n’ai pas besoin de l’avis des morveux que vous
êtes. Où est Alexandre ?
— Dans les montagnes, expliqua
Héphestion, il combat les tribus du Liban demeurées fidèles à Darius.
— Alors, conduisez-moi jusqu’à
lui.
— Mais…, commença Ptolémée.
— Il y a de la neige dans les
montagnes, maître, ricana Léonnatos. Tu risques de t’enrhumer. »
Mais Léonidas fut inébranlable :
« Ce bateau repart dans cinq jours, et si vous ne m’emmenez pas auprès de
votre roi, j’aurai fait ce voyage en vain. Je veux voir Alexandre. C’est un
ordre. »
Léonnatos secoua sa grosse tête
hirsute et haussa les épaules. « Il n’a pas changé, grommela-t-il. Il n’a
pas changé d’un poil.
— Tais-toi, animal ! Je
n’ai pas oublié que tu mettais des grenouilles dans mon potage, croassa le
vieillard.
— Alors, qui le conduit
là-haut ? demanda Léonnatos.
— Moi, dit Lysimaque. J’en
profiterai pour remettre quelques messages à Alexandre. »
Ils partirent le lendemain, escortés
par un groupe d’hétairoï, et atteignirent leur destination dans la soirée. Le
roi fut surpris et ému par cette visite inattendue. Il renvoya Lysimaque au
campement et se chargea du vieillard.
« Tu as commis une grande
imprudence en venant jusqu’ici, didaskale. Et tu t’es mis en danger : nous
devons poursuivre l’ascension de cette montagne jusqu’au col, pour rejoindre
nos troupes auxiliaires, les Agrianes, qui l’occupent.
— Je n’ai peur de rien. Et ce
soir, nous bavarderons un peu, tu as sans doute beaucoup de choses à me
raconter. »
Ils se mirent en route. La mule de
Léonidas ne parvenant pas à soutenir l’allure des chevaux. Alexandre décida de
laisser avancer ses soldats et de rester en arrière avec son vieux maître. Une
fois la nuit tombée, ils arrivèrent devant une croisée
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