Le Roman d'Alexandre le Grand
elles sont énormes,
répondit le secrétaire en parcourant une feuille remplie à la hâte. Pas moins
de trois cents morts et une centaine de blessés.
— Que fait-on ? demanda
Léonnatos.
— Nous ne pouvons pas les
laisser en pâture aux loups, dit Alexandre. Nous devons les ramener à
l’arrière.
— Dans ce cas, nous subirons
des pertes encore plus importantes, objecta Lysimaque. Si nous y allons maintenant,
nous nous briserons les os sur ces rochers, dans le noir. Et si nous attendons
le lever du jour, ils nous tailleront en pièces du haut de ce maudit couloir.
— Eh bien moi, j’y vais, coupa
court le roi. Je refuse de laisser ces garçons sans sépulture. Si vous avez
peur, vous êtes libres de rester au camp.
— Je t’accompagne, répliqua
Héphestion en se levant comme s’il devait partir sur-le-champ.
— Tu sais très bien qu’il ne
s’agit pas de peur, rétorqua Lysimaque, piqué au vif.
— Ah non ? et de quoi,
alors ?
— Inutile de vous disputer,
intervint Ptolémée. Cela ne résoudra rien. Essayons plutôt de réfléchir.
— Je… j’ai peut-être une
solution », dit Eumène.
Tout le monde se tourna vers le
secrétaire général, et Léonnatos secoua la tête en pensant que ce petit Grec en
savait toujours plus long que les autres.
« Une solution ? demanda
Alexandre. Et laquelle ?
— Accordez-moi un
instant », répondit Eumène. Il sortit et revint rapidement en compagnie
d’un des guides indigènes qui les avaient conduits jusque-là. « Parle sans
crainte, lui dit-il. Le roi et ses amis t’écoutent. »
L’homme s’inclina devant Alexandre
et ses compagnons, avant de s’exprimer dans un grec compréhensible, avec un
accent qui évoquait le chypriote.
« D’où es-tu originaire ?
l’interrogea Alexandre.
— Je suis lycien, je viens des
environs de Patara. On m’a vendu comme esclave quand j’étais adolescent, pour
rembourser la dette que mon père avait contractée auprès de son maître perse,
un certain Arsace. Celui-ci m’a emmené en Perse et m’a confié la garde de ses
troupeaux dans cette région. Je connais donc le moindre pouce de ces
montagnes. »
Comprenant que ce pauvre garçon
avait le sort de l’armée entière entre ses mains, les membres de l’assistance
retinrent leur souffle.
« Si vous retournez dans cette
gorge, continua-t-il, les Perses vous réduiront en miettes avant même que vous
ayez eu le temps d’atteindre le pied du rempart. Seuls des petits détachements
peuvent se déplacer, là-bas. Mais je connais un sentier qui monte à travers la
forêt, à une heure de marche d’ici. C’est un sentier de chèvres, qu’une seule
personne peut aborder de front et où il faut bander les yeux des chevaux pour
éviter qu’ils ne voient le précipice. Mais on peut arriver au sommet du couloir
en quatre ou cinq heures, et prendre les Perses à revers.
— Nous n’avons pas le choix,
semble-t-il, dit Séleucos, si nous voulons poursuivre notre route.
— C’est ce que je crois aussi,
admit Alexandre. Mais il y a un problème : si ce sentier est si étroit,
ceux qui atteindront le sommet du couloir en un temps relativement court seront
trop peu nombreux pour résister à une éventuelle contre-attaque perse. Il
faudra les occuper du côté du mur.
— Je m’en charge, proposa
Lysimaque.
— Non, toi, tu m’accompagnes
sur le sentier. C’est Cratère qui s’en occupera avec les Agrianes, les Thraces
et un bataillon d’attaquants, en essayant de limiter le plus possible les
pertes. Nous attaquerons au même moment, nous d’en haut, et eux d’en bas, afin
de semer la panique dans les rangs perses.
— Il est nécessaire de convenir
d’un signal, observa Cratère. Mais le couloir est trop profond pour nous
permettre de distinguer des signaux lumineux, et la distance qui séparera nos
détachements pourrait les empêcher d’entendre le moindre son.
— Il y a un moyen, dit le
berger lycien. Non loin des fortifications, l’écho rebondit plusieurs fois sur
les parois du couloir, ce qui permet d’entendre une sonnerie de trompette à
grande distance. J’en ai fait l’expérience plusieurs fois avec mon cor pour
tuer le temps quand je gardais les moutons. »
Alexandre le dévisagea.
« Comment te nommes-tu, Lycien ?
— Mon maître m’appelait Ochus,
ce qui signifie « bâtard » en perse, mais mon vrai nom est Rhédas.
— Écoute-moi, Rhédas. Si tu as
dit la vérité, et si tu
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