Le Roman d'Alexandre le Grand
les rejoindre et à abattre leurs
auriges.
Alors Alexandre envoya la cavalerie
sur les ailes, engageant un furieux corps à corps avec les cavaliers indiens,
qui combattaient courageusement. Porus déchaîna ses éléphants sur notre centre,
et ces énormes bêtes firent un massacre en traversant les rangs compacts de la
phalange. Perdiccas et Héphestion ordonnèrent aux hommes de créer des couloirs
dans leurs rangs afin que s’y engouffrent ces animaux, sur lesquels Lysimaque
concentra au même moment les tirs des catapultes, qu’il avait enfin réussi à
remonter après le franchissement du fleuve. Les archers à cheval et les
lanceurs de javelots les prirent de mire, les frappant et les blessant. Pendant
ce temps, les archers à pied visaient leurs conducteurs, et les abattaient les
uns après les autres. Fous de douleur et de peur, les éléphants s’emballèrent
et coururent de tous côtés, se retournant parfois contre leurs propres soldats,
qu’ils ne parvenaient pas à distinguer des ennemis.
Ces bêtes une fois hors de combat,
Perdiccas rassembla la phalange et la lança à l’attaque en poussant de grands
cris de guerre pour encourager ses hommes, et en se battant lui-même en première
ligne. De l’autre côté, Porus continuait d’avancer valeureusement. Pareil à une
furie, les pattes couvertes de sang et d’entrailles, son éléphant écrasait nos
hommes sur son passage, tandis que son maître, enfermé dans une armure
impénétrable, tirait des dizaines de javelots avec la force d’une catapulte.
La bataille fit rage pendant huit
heures, sans la moindre trêve. Enfin, Alexandre, qui emmenait la Pointe sur
l’aile droite, et Coïnos, qui guidait l’aile gauche, réussirent à mettre en
fuite la cavalerie ennemie et à converger vers le centre. Totalement encerclés,
les Indiens se rendirent, et Porus, blessé à l’épaule droite – seule partie de
son corps que l’armure ne protégeait pas –, commença à vaciller.
Nous fûmes bouleversés en voyant le
comportement de son animal. Remarquant que son maître était en difficulté il
ralentit, s’arrêta et s’agenouilla pour permettre à Porus de glisser lentement
à terre. Puis, une fois que celui-ci fut étendu sur le sol, il tenta d’ôter le
javelot fiché dans son épaule. C’est alors que les cornacs l’éloignèrent et que
le roi indien fut confié à nos chirurgiens, qui prirent soin de lui.
Dès qu’il sut que Porus était en
mesure de tenir debout, Alexandre voulut le rencontrer. Il fut impressionné par
sa taille gigantesque : Porus mesurait plus de sept pieds et son armure
d’acier étincelante collait à son corps comme une seconde peau. Il avait tenté
de tuer le roi Taxile qu’Alexandre lui avait d’abord envoyé comme interprète,
le considérant comme un traître. C’est pourquoi Alexandre alla le trouver en
personne, flanqué d’un autre interprète. Il le salua avec grand respect, loua
son courage et exprima ses regrets pour la mort de ses fils, qui étaient tous
deux tombés sur le champ de bataille. Il finit par lui demander :
« Comment désires-tu être traité ? »
Et celui-ci répondit :
« Comme un roi. »
C’est bien ainsi qu’il fut
traité : Alexandre lui laissa le gouvernement des territoires qu’il avait
conquis jusqu’à ce moment-là, et le rétablit dans son palais.
Mais la joie d’une victoire aussi
difficile contre un ennemi quasi surhumain, contre des monstres d’une
effroyable force et d’un aspect terrifiant inconnus des Macédoniens, fut
endeuillée par un événement funeste, qui plongea le roi dans la plus grande
consternation. Son cheval Bucéphale, blessé au cours du combat après avoir
heurté un éléphant, mourut au terme d’une agonie de quatre jours.
Le roi pleura comme il aurait pleuré
la mort d’un ami intime, et il demeura à ses côtés jusqu’à ce que l’animal
exhale son dernier soupir. J’étais présent, et je le vis caresser doucement
celui-ci, lui parler à voix basse en évoquant les aventures qu’ils avaient
vécues ensemble. Bucéphale hennissait faiblement comme s’il voulait lui
répondre. Je vis les larmes couler sur le visage du roi, je le vis sangloter
quand son cheval expira.
Il lui fit construire une tombe de
pierre et fonda une ville qu’il appela Alexandrie Bucéphale, un honneur dont
aucun cheval n’avait été l’objet, pas même les vainqueurs les plus célèbres des
courses d’Olympie. Mais il ensevelit aussi
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