Le Roman d'Alexandre le Grand
encourage ceux qui sont las. Une lumière ardente
brille dans son regard, cette lumière qui habitait ses yeux le jour où je le
vis sortir du temple d’Ammon, dans le désert de Libye, il y a si longtemps.
Le récit de Ptolémée s’interrompant,
Aristote referma le rouleau et le posa sur une étagère.
Il pensa à Callisthène, et ses yeux
se remplirent de larmes. Son aventure s’était achevée misérablement aux confins
du monde, et il avait peut-être été vaincu par la peur, plus que par le poison.
Il plaignit son neveu, car il savait que ses idées étaient plus fortes que son
esprit et son courage. Il aurait aimé l’assister au moment suprême, lui lire
les dernières paroles de Socrate : « Il est temps maintenant de
partir, moi vers la mort, vous vers la vie… », mais l’étau de la terreur
l’aurait peut-être empêché de les entendre.
Aristote éteignit sa lanterne.
Tandis qu’il se couchait en soupirant dans sa chambre vide, à la lueur diaphane
de la lune d’automne, il se demanda si Alexandre avait éprouvé de la pitié à
l’égard de son ancien ami.
53
Héphestion courut sous la pluie battante vers la tente du roi en
pataugeant dans la boue. Après en avoir franchi le seuil, il s’approcha du
brasero qui répandait plus de fumée que de chaleur. Alexandre vint à sa
rencontre et Leptine lui tendit un manteau sec.
« Sangala s’est rendue,
annonça-t-il. Eumène finit de compter les morts et les blessés.
— Y en a-t-il beaucoup ?
— Hélas. Plus de mille… entre
mille et mille cinq cents. De nombreux officiers. Lysimaque fait partie des
blessés, mais il n’est pas en danger, semble-t-il.
— Et eux ?
— Dix-sept mille morts.
— Un massacre. Ils nous ont
opposé une vaillante résistance.
— Et nous avons une énorme
quantité de prisonniers. Nous avons également réquisitionné trois cents chars
de guerre et soixante-dix éléphants. »
Eumène entra, trempé par la pluie.
« Je dispose d’un bilan définitif, annonça-t-il. Nous avons cinq cents
morts, dont cent cinquante Macédoniens et Grecs, et mille deux cents blessés.
Lysimaque a une sale blessure à l’épaule, mais ses jours ne sont pas en danger.
As-tu d’autres ordres à me donner ?
— Oui, répondit Alexandre. Tu
partiras demain pour les deux villes qui nous séparent de l’Hyphase. Tu
emmèneras des prisonniers pour qu’ils racontent ce qui s’est passé à Sangala.
Si les seigneurs de ces villes reconnaissent mon autorité, il n’y aura ni morts
ni massacres. Nous t’emboîterons le pas avec le reste de l’armée. »
Eumène acquiesça, puis sortit en
s’abritant sous un manteau tandis qu’un éclair aveuglant illuminait tout le
camp en y répandant une lumière bleutée, et qu’un coup de tonnerre éclatait
quasiment au-dessus de la tente du roi.
« Je vais surveiller le
transfert des prisonniers, dit Héphestion. Si je peux, je repasserai avant que
la nuit tombe pour te faire mon rapport. »
Il marcha jusqu’à la palissade qui
entourait le campement en se protégeant sous son bouclier. Les prisonniers
défilaient entre deux rangs de pézétairoï, immobiles sous la pluie
torrentielle, derrière deux officiers à cheval qui les conduisaient vers un
vaste enclos non loin de la porte occidentale, où l’on avait monté des tentes
qui ne pouvaient en contenir que la moitié. Il s’assura que les femmes et les
enfants étaient abrités, puis il s’occupa des hommes, qui se pressaient les uns
contre les autres, les pieds dans la boue.
Il leva les yeux vers le ciel
couvert de gros nuages chargés de pluie, puis les rabaissa vers l’horizon sur
lequel s’abattaient des éclairs aveuglants à un rythme martelant. Un ciel
monstrueux, une pluie incessante. Où se trouvaient-ils donc ?
Qu’allaient-ils découvrir au-delà du fleuve qu’Alexandre voulait rallier ?
Un éclair déchira brusquement les
nuages fuyants, illuminant toute la ville et tous les alentours. C’est alors
qu’une silhouette fantomatique lui apparut : un homme seul, à demi nu,
squelettique, pénétrait à l’intérieur du camp, dont les portes étaient restées
ouvertes. Interdit, Héphestion s’approcha et lui demanda en criant, pour
couvrir le bruit assourdissant des coups de tonnerre : « Qui
es-tu ? Que veux-tu ? »
L’homme prononça des mots
incompréhensibles sans s’interrompre pour autant : il continua son chemin
parmi les tentes et s’arrêta devant un énorme
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