Le Roman d'Alexandre le Grand
mercenaires, mais ils préférèrent s’enfuir plutôt que
de se battre contre leurs frères.
Nous capturâmes dans cette ville un
certain nombre d’éléphants, auxquels Alexandre est très attaché. Ce sont des
animaux extraordinaires, dotés d’une masse énorme, pourvus de défenses qui
jaillissent de leur bouche. Ils peuvent porter sur leur dos des tours contenant
des guerriers armés et sont menés par un homme assis derrière leurs oreilles,
qui leur donne des coups de talon. Si cet homme est tué au cours d’une
bataille, l’éléphant ne sait plus s’orienter.
Les Indiens sont grands, ce sont les
hommes les plus noirs de peau que nous ayons vus, à l’exception des
Éthiopiens ; ils sont aussi très courageux au combat. Une fois Aornos
conquise, le roi y établit une garnison et choisit comme gouverneur un prince
indien qui s’était lié avec Bessos avant de passer dans notre camp. Il se nomme
Sashagupta, dans sa langue, mais les Grecs l’appellent Sisicottos. Après la
conquête d’Aornos, nous fîmes main basse sur un butin de deux cent cinquante
mille bœufs, et décidâmes d’envoyer les plus forts et les plus beaux d’entre
eux en Macédoine afin qu’ils labourent nos champs et améliorent notre élevage.
Alexandre ordonna qu’on construise des bateaux et des navires à vingt-cinq
rames, sur lesquels nous entreprîmes de descendre le fleuve Indus, qui est
immense et, à ce qu’il paraît, entièrement navigable, ou presque.
Nous rejoignîmes Perdiccas et
Héphestion, qui avaient achevé leur pont près d’une ville du nom de Taxila.
Celle-ci nous accueillit amicalement. Son roi, un dénommé Taxile, offrit à
Alexandre vingt-cinq éléphants et trois cents talents d’argent. J’ai vu peu
d’or. Quant aux légendes selon lesquelles il y aurait sur ces terres des
fourmis géantes qui creusent les montagnes pour en extraire de l’or, qu’elles
placent ensuite sous la garde de griffons ailés, ce sont à mon avis des
histoires privées de tout fondement, et je n’ai pu trouver de preuves dignes de
foi à ce sujet.
Nous atteignîmes bientôt les rives
de l’Hydaspe, le premier affluent de l’Indus. Ce fleuve était large et
tourbillonnant du fait des nombreuses pluies qui s’étaient abattues sur les
montagnes. Un roi indien du nom de Porus vivait sur l’autre rive. Il disposait
d’une grande armée de trente mille fantassins, quatre mille cavaliers, trois
cents chars de guerre et deux cents éléphants. Il nous était impossible de
passer car Porus ne cessait de suivre nos mouvements afin de nous interdire
l’accès au gué. Alors Alexandre donna l’ordre à ses troupes de se déplacer
aussi bien de jour que de nuit, en criant et en faisant du bruit de façon à
brouiller les idées de nos ennemis. Porus serait ainsi obligé de monter son
camp à un endroit précis, où il nous attendrait.
Nous laissâmes Cratère en face de
lui avec un grand nombre de soldats, et nous emboîtâmes le pas à Alexandre, qui
remonta le cours du fleuve avec la cavalerie des hétairoï, les archers à
cheval, les Agrianes et l’infanterie lourde. Un furieux orage avait éclaté
entre-temps, empêchant les Indiens de s’aventurer le long des rives de
l’Hydaspe. Il fut extrêmement difficile de franchir le fleuve, et seule la
présence d’une île, au milieu du courant, nous permit d’y parvenir. Bien qu’il
se fût promis de ne plus conduire Bucéphale sur un champ de bataille après
Gaugamèle, Alexandre décida de le monter ce jour-là, et de se servir de sa
masse puissante pour renverser les cavaliers ennemis, qui possédaient des
montures rapides mais plus petites.
Apprenant, à l’aube, que des troupes
macédoniennes avaient traversé le fleuve, Porus lança son fils contre nous, à
la tête d’un millier de cavaliers. Nous les taillâmes en pièces dès le premier
assaut, et le jeune homme périt. Porus comprit alors que c’était Alexandre qui
avait franchi l’Hydaspe au cours de cette nuit de tempête. Aussi lui
envoya-t-il toute son armée. Il rangea les chars de guerre en première ligne,
suivis des éléphants et enfin de l’infanterie, flanquée de la cavalerie. Cet
homme gigantesque était juché sur un éléphant énorme, qu’il encourageait par de
grands cris en emmenant ses troupes à l’assaut.
Les chars partirent les premiers à
l’attaque, mais le terrain détrempé par la pluie en ralentit la course, si bien
que nos archers à cheval n’eurent aucun mal à
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