Le Roman d'Alexandre le Grand
du sommet des collines. Aussitôt, le vent poussa dans la plaine une
musique chorale de flûtes, rythmée par le roulement des tambours qui
accompagnaient les guerriers en marche. Le mouvement du front, qui descendait,
reflétait la lumière du soleil en mille éclats de feu, et le pas lourd des
fantassins, couverts de fer, se répercutait dans la vallée en un écho sinistre.
Dans la plaine, la phalange était
immobile et silencieuse ; à l’extrême droite, les chevaux soufflaient et
agitaient la tête en faisant tinter leurs mors de bronze.
La Pointe était déjà alignée en
formation en coin, et Alexandre prit position devant tout le monde, en qualité
de premier cavalier, les yeux rivés sur l’aile droite des rangs ennemis,
l’invincible bataillon sacré. Inquiet, Bucéphale raclait le sol, soufflait et
se fouettait les flancs de sa queue.
Un cavalier rejoignit Philippe, qui
s’apprêtait à donner le signal d’attaque. « Sire, cria-t-il en sautant à
terre. Démosthène combat en première ligne avec l’infanterie lourde d’Athènes.
« Je ne veux pas qu’il soit
tué, ordonna le roi. Fais passer le mot dans les rangs. »
Il se retourna pour contempler ses
« écuyers : il vit des visages ruisselants de sueur sous les visières
des casques, des yeux braqués sur l’éclat des armes ennemies, des membres
contractés dans l’attente nerveuse de l’attaque. Le moment où chacun d’eux
regardait la mort en face, le moment où le désir de vivre l’emportait sur tout
le reste, était arrivé. Il fallait maintenant qu’il les libère de l’étau de
l’angoisse et qu’il les lance à l’assaut.
Philippe brandit son épée, poussa le
cri de guerre, et ses hommes le suivirent en hurlant comme une horde de bêtes
sauvages, refoulant la peur à l’intérieur de leur poitrine, impatients de se
jeter dans la mêlée, dans la fureur du combat, et oublieux de tout, même
d’eux-mêmes.
Ils avancèrent en courant tandis que
les officiers leur criaient de ne pas se hâter, de ne pas désorganiser les
rangs, de se présenter unis face à l’ennemi.
Le choc allait bientôt se produire.
Les Athéniens continuaient de descendre au pas, épaule contre épaule, bouclier
contre bouclier, lances tendues vers l’avant, poussés par le son perçant et
incessant des flûtes, par le roulement obsédant des tambours, criant à chaque
pas :
Alalalàï !
Alors le fracas de l’impact explosa
comme un tonnerre de bronze dans toute la vallée, heurta le flanc des
montagnes, transperça le ciel, accompagné par le cri de vingt mille guerriers
entraînés par la fureur de la mêlée.
Reconnaissable à son étoile d’or,
Philippe se battait en première ligne avec une fougue irrépressible, assenant
des coups de bouclier et d’épée. Il était flanqué de deux gigantesques Thraces,
armés de haches à double tranchant. Leurs chevelures rousses et hirsutes, leurs
corps poilus, les tatouages qui couvraient leur visage, leurs bras et leur
poitrine, leur donnaient un aspect véritablement effrayant.
Le front athénien s’avança en
plusieurs vagues sous la fureur de l’assaut, tandis qu’un son aussi aigu et
pénétrant que le cri d’un faucon les encourageait à aller de l’avant. Plus
forte que la musique désespérée des flûtes et des tambours, la voix de
Démosthène criait : « Athéniens, courage ! Pour votre liberté,
pour vos femmes et pour vos enfants ! Repoussez le tyran ! »
L’affrontement se fit de plus en
plus violent ; de nombreux soldats tombaient dans les deux camps, mais
Philippe avait ordonné que personne ne s’arrête pour dépouiller les cadavres
avant que la bataille ne soit gagnée. De part et d’autre, les armées
cherchaient la brèche qui leur permettrait de percer et de blesser, d’éclaircir
les rangs par le fer.
Des giclées de sang éclaboussaient à
présent les boucliers des fantassins du premier rang et ruisselaient
abondamment sur le sol déjà glissant et encombré de corps agonisants. Dès qu’un
homme tombait, l’un de ses compagnons surgissait de la deuxième ligne pour le
remplacer.
Soudain, sur un signe de Philippe,
la trompe lança un appel et les deux bataillons d’« écuyers »
commencèrent à se retirer, laissant sur le terrain leurs morts et leurs
blessés. Ils cédaient lentement, dissimulés derrière leurs boucliers, répondant
coup pour coup, de la lance et de l’épée.
Voyant que leurs ennemis reculaient,
les Athéniens
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