Le Roman d'Alexandre le Grand
leçons
d’anatomie d’Aristote. Désinfecte la blessure avec du vin et du vinaigre, puis
enfile l’aiguille pour moi : j’ai de la sueur dans les yeux. »
Callisthène se mit au travail avec
une certaine habileté, et le prince put examiner la blessure. « Passe-moi
les ciseaux, elle est tout abîmée.
— Les voici.
— Comment t’appelles-tu ?
demanda Alexandre au prisonnier.
— Démade. »
Callisthène écarquilla les yeux.
« C’est le célèbre orateur », murmura-t-il à l’oreille de son ami,
qui ne parut guère ému par cette révélation.
Démade grimaça lorsque son
chirurgien improvisé coupa dans la chair vive. Alexandre se fit ensuite donner
une aiguille et du fil. Il passa l’aiguille sur la flamme de la lanterne et
commença à coudre, tandis que Callisthène maintenait serrées les lèvres de la
blessure.
« Parle-moi de Démosthène,
interrogea le prince.
— C’est… un patriote, répondit
Démade entre ses dents, mais nous avons des opinions différentes.
— C’est-à-dire ? Mets ton
doigt ici », ajouta-t-il à l’adresse de son assistant.
Callisthène posa le doigt sur le fil
qu’il fallait nouer.
— C’est-à-dire que…, expliqua
le blessé en retenant son souffle, c’est-à-dire que j’étais opposé à son idée
d’entrer en guerre aux côtés des Thébains, je l’ai dénoncée
publiquement. »
Il libéra un profond soupir dès
qu’Alexandre eut terminé.
« C’est vrai, murmura Callisthène.
J’ai gardé certains de ses vieux discours.
— J’ai fini, dit le prince.
Nous pouvons le panser. » Puis, à l’adresse de Callisthène :
« Demain, montre-le à un médecin. Si la plaie enflait ou suppurait, il
faudrait la drainer, et je préfère qu’un véritable chirurgien s’en charge.
— Comment puis-je te
remercier ? demanda Démade en se redressant sur le lit de camp.
— Remercie mon maître,
Aristote, qui m’a également appris cet art. Mais il semble que vous autres
Athéniens n’ayez pas fait grand-chose pour le retenir…
— C’est un problème qui relève
de l’Académie, la cité n’a rien à voir là-dedans.
— Écoute, l’assemblée de
l’armée peut-elle délibérer sur place et t’attribuer une charge
politique ?
— En théorie, oui. Il y a
probablement plus de citoyens en mesure de voter ici qu’à Athènes, en ce
moment.
— Alors, va leur parler, et
arrange-toi pour qu’ils te chargent de négocier avec le roi les conditions de
la paix.
— Tu es sérieux ?
questionna Démade d’un air stupéfait, tout en se rhabillant.
— Tu peux prendre un vêtement
propre dans mon coffre. Pour le reste, je parlerai à mon père. Callisthène te
trouvera un logement.
— Merci, je… », eut-il
tout juste le temps de balbutier.
Alexandre était déjà sorti.
Quand il se glissa sous la tente de
son père, Philippe était en train de dîner en compagnie de Parménion, du Noir
et d’autres commandants de bataillons.
« Tu manges quelque chose avec
nous ? lui demanda le souverain. Nous avons des perdrix grises.
— Oui, il y en a des milliers,
expliqua Parménion. Elles quittent le lac Copaïs et viennent picorer le long du
fleuve pendant la journée. »
Alexandre s’empara d’un tabouret et
s’assit.
Le roi s’était calmé, il paraissait
de bonne humeur.
« Alors, comment t’a semblé mon
garçon, Parménion ? dit-il en posant sa main sur l’épaule de son fils.
— Magnifique, Philippe :
il a mené la charge mieux qu’un vétéran des hétairoï.
— Ton fils Philotas a également
combattu avec beaucoup de courage, général, observa Alexandre.
— Qu’as-tu fait du prisonnier
athénien ? interrogea le souverain.
— Tu sais de qui il
s’agit ? De Démade. »
Philippe bondit sur ses pieds.
« Tu en es sûr ?
— Demande à Callisthène.
— Par les dieux, envoie
aussitôt un chirurgien auprès de lui ! Cet homme s’est toujours exprimé en
faveur de notre politique.
— Je l’ai déjà recousu ;
sinon il serait mort d’hémorragie à l’heure qu’il est. Je lui ai accordé une
certaine liberté de mouvement dans le campement. Je crois qu’il t’exposera
demain des propositions relatives au traité de paix. Si j’ai bien compris, tu
ne veux pas d’une guerre contre Athènes.
— Non. Et puis, pour vaincre
une ville maritime, il faut être soi-même maître de la mer, et nous ne le
sommes pas. J’en ai fait l’expérience à mes dépens
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