Le Roman d'Alexandre le Grand
opiniâtre.
Alexandre recula.
« Héphestion ! cria-t-il. Conduis tes hommes de ce côté, ouvre une
brèche et attaque par-derrière le centre thébain ! Laisse-moi le bataillon
sacré ! »
Héphestion s’exécuta, avança avec
Perdiccas, Séleucos, Philotas, Lysimaque, Cratère et Léonnatos, faisant
pénétrer ses cavaliers entre le bataillon sacré et le reste des troupes
thébaines. Puis ils effectuèrent une large conversion, comme le jour de la
parade célébrant le retour d’Alexandre, et prirent les ennemis à revers en les
poussant contre la forêt de pointes de la phalange.
Touchés par les charges incessantes
de la Pointe, les guerriers du bataillon sacré se battirent avec un courage
désespéré, mais tombèrent les uns après les autres jusqu’au dernier homme,
fidèles au serment qui les liait entre eux : ne jamais reculer, ne jamais
tourner le dos.
La bataille fut remportée avant même
que le soleil eût parcouru la moitié de sa course dans le ciel. Alexandre se
présenta à Parménion, l’épée au poing et l’armure encore éclaboussée de sang.
Le poitrail et les flancs de Bucéphale étaient tout aussi rouges.
« Le bataillon sacré a cessé
d’exister.
— Victoire sur toute la ligne !
s’exclama Parménion.
— Où est le roi ? »,
demanda Alexandre.
Parménion se tourna vers la plaine,
encore voilée par la poussière épaisse de l’affrontement, et lui montra un
homme seul qui dansait en boitant, comme hors de lui, au milieu d’une multitude
de cadavres.
« Le voilà », répondit-il.
25
Deux mille Athéniens tombèrent sur le champ de bataille et de nombreux
autres furent capturés. Parmi eux, l’orateur Démade, qui se présenta devant le
roi encore revêtu de son armure, une blessure sanglante au bras. Démosthène
s’était sauvé à travers les cols qui conduisaient au sud, vers Lébadéia et
Platées.
Mais les pertes les plus importantes
avaient été subies par les Thébains et leurs alliés achéens, alignés au centre
des formations. Après avoir détruit le bataillon sacré, la cavalerie
d’Alexandre les avait pris à revers et poussés contre les pointes ferrées de la
phalange, provoquant ainsi un massacre.
La colère de Philippe se déchaîna
surtout à l’encontre des Thébains qui s’étaient, à ses yeux, rendus coupables
de trahison, Il vendit les prisonniers comme esclaves et refusa de restituer
les cadavres. Ce fut Alexandre qui ébranla ses résolutions :
« Père, tu m’as dit toi-même
qu’il faut être clément chaque fois que cela est possible, lui fit-il remarquer
après que la fureur de la victoire se fut apaisée. Même Achille rendit le
cadavre d’Hector au vieux roi Priam, qui l’implorait en larmes. Ces hommes se
sont battus comme des lions et ont donné leur vie pour leurs cités. Ils
méritent le respect. En outre, quel avantage tirerais-tu d’un tel
acharnement ? »
Philippe ne répondit pas, mais il
était facile de comprendre que les paroles d’Alexandre s’étaient frayé un
chemin dans son esprit.
« Il y a dehors un officier
athénien qui demande à te parler, ajouta-t-il.
— Pas maintenant ! rugit
Philippe.
— Il dit qu’il se laissera
mourir si tu ne le reçois pas.
— Très bien ! Cela en fera
un de moins.
— Comme tu veux. Alors c’est
moi qui m’en occuperai. »
En sortant, il ordonna à deux
« écuyers » de conduire l’homme sous sa tente et d’appeler un
chirurgien. Les soldats s’exécutèrent et l’Athénien fut installé sur un lit de
camp, déshabillé et lavé.
Peu après, l’un des hommes
réapparut. « Alexandre, les chirurgiens sont tous occupés à soigner nos
soldats, ils essaient de sauver les blessés les plus graves. Mais si tu
l’ordonnes, ils viendront.
— Peu importe, répliqua le
prince. Je m’en occupe moi-même. Apportez-moi des instruments, une aiguille et
du fil, faites filtrer de l’eau et procurez-moi des bandages propres. »
Les hommes, et surtout le patient,
lui lancèrent un regard étonné.
« Il faudra que tu te contentes
de moi, dit-il à l’officier blessé. Je ne peux pas troquer la mort d’un soldat
macédonien contre le salut d’un ennemi. »
C’est alors que Callisthène pénétra
sous la tente. Il vit Alexandre se ceindre d’un tablier et se laver les mains.
« Qu’est-ce que…
— Cela aussi doit rester entre
nous, ce qui ne t’empêche pas de m’aider. Tu as suivi, comme moi, les
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