Le sac du palais d'ete

anglais.
    —  Détrompe-toi. Hong veille à tout dans le moindre détail !
    —  Tout procède de lui   ?
    —  Il y a aussi les Princes ! fit Yang, avant de se lancer dans une longue digression sur ses propres transes qui lui permettaient de « deviner la pensée d’autrui », de « démasquer les espions à la solde des impériaux » et surtout d’« instruire la multitude », c’est-à-dire de parler au nom de l’Esprit saint.
    Le Prince de l’Orient, que Bowles s’était mis à dessiner à toute allure pendant qu’il était occupé à son plaidoyer pro domo , se révélait un mégalomane au moins aussi exalté et dangereux que son chef…
    Lorsque, lâchant enfin ses notes qu’il avait reprises, John acheva de boire son bol de thé, le Prince lui annonça, en ménageant ses effets :
    —  Au fait, j’ai une bonne nouvelle pour toi. Laura Clearstone est d’accord pour te recevoir chez elle avant le dîner…
    —  Comment pourrais-je te remercier   ? Sans toi, il m’eût été impossible de mener correctement mon enquête, s’écria Bowles, aux anges.
    A l’issue du deuxième jour qu’il passait chez les Taiping, John n’avait en effet toujours pas pu approcher la jeune femme.
    Le premier soir, Yang lui avait expliqué que c’était impossible vu que Joe avait été réquisitionné par Hong pour participer à une cérémonie liturgique. Le Tianwan, qui avait fait du jeune handicapé une sorte de prophète, l’appelait de plus en plus fréquemment. Le lendemain, Laura avait été mobilisée par la fête des Enfants que les Taiping organisaient tous les six mois, au printemps et à l’automne, et au cours de laquelle ils remettaient aux adolescents qui avaient réussi leurs épreuves le ruban rouge qui faisait d’eux des combattants à part entière de leurs armées. John avait profité de ces contretemps pour creuser certains aspects de son enquête. Yang Xiuqing s’était révélé, à cet égard, un guide parfait, ne ménageant ni son temps ni sa peine pour permettre au reporter dessinateur d’aller où il voulait. Devant le Prince de l’Orient, toutes les portes de Nankin s’ouvraient comme par miracle…
    Au sein du mouvement Taiping, Yang Xiuqing était un personnage particulièrement redouté en raison du statut spécial qu’il avait réussi à extorquer au Tianwan. Dans la Céleste Hiérarchie, il se situait au-dessus des autres Princes, au point d’apparaître comme une sorte de rival pour le Tianwan en personne, qui n’en avait cure. Pour mieux asseoir son pouvoir, cet homme rusé comme un renard avait créé à son seul usage une police secrète dont il réunissait les officiers tous les soirs dans sa vaste demeure. Désireux de se faire mousser auprès de Bowles, il lui avait proposé d’assister à cette réunion, ce que notre journaliste s’était empressé d’accepter. John avait pu observer la façon dont ces hommes aguerris vénéraient et craignaient leur chef. Le Prince de l’Orient disposait de milliers d’indics sur tous les territoires investis par l’armée des gueux. Il n’était pas de mois où, grâce à son réseau de sbires entièrement dévoués à sa solde, il ne démasquât les agents doubles que les impériaux envoyaient chez les Taiping pour les infiltrer.
    Yang sortit de sa poche l’exemplaire du Weekly que Bowles lui avait remis dès le premier soir en lui expliquant qu’il comptait réaliser une grande enquête sur le Céleste Royaume. Puis il planta ses yeux dans ceux du reporter et lui murmura d’une voix rauque où perçait la volonté de revanche :
    —  Je voudrais que tu écrives dans ton journal que je suis l’égal du Tianwan !
    —  Ne risque-t-il pas d’en prendre ombrage   ?
    —  Hong a tellement besoin de moi qu’il ne dira rien… et d’abord, cela m’étonnerait fort qu’il ait connaissance de ton enquête. Le Tianwan ne lit aucune gazette.
    —  Dès que le journal sera sorti, je t’en ferai passer une poignée d’exemplaires… promit le dessinateur enquêteur, estomaqué.
    —  Excellente idée, je le ferai lire par Laura Clearstone. C’est une traductrice hors pair ! D’ailleurs, il serait temps que nous nous rendions chez elle !
    La nuit était déjà tombée lorsque le Prince de l’Orient frappa à la porte de la maison où habitait l’Anglaise.
    —  Laura, je vous amène un illustre journaliste qui souhaite vous parler, lui dit Yang avant de s’effacer devant John Bowles.
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