Le sac du palais d'ete
ruelles infectes sur lesquelles donnaient de petites maisons basses, puis le « no man’s land » qui le séparait de celui qui était, hier encore, réservé aux Mandchous dont les majestueux palais bordaient les avenues larges et propres, avant de s’immobiliser devant l’un d’entre eux. C’était un vaste bâtiment qu’occupait, avant la prise de Nankin, l’état-major des impériaux. Du haut de sa tour de commandement qui jaillissait de sa cour intérieure, le Tianwan pouvait surveiller les émeutes et les incidents qui mettaient encore aux prises à la moindre occasion les habitants de l’ancienne capitale impériale et la police Taiping.
Deux gardes en armes vinrent chercher Bowles, tandis que le Prince de l’Orient prenait congé de lui.
Après qu’on l’eut fait passer par des cours successives où de tout jeunes soldats tapaient le carton ou jouaient au ballon, John fut conduit au bout d’un couloir sombre devant une porte qui s’ouvrit au troisième coup frappé. Le journaliste fut poussé dans une salle gigantesque noyée dans la pénombre. Au fond de la pièce où flottait une forte odeur d’encens, il aperçut à contre-jour, devant une immense cheminée où flambaient quelques bûches, la silhouette d’un homme à la carrure impressionnante qui faisait les cent pas dans un silence sépulcral. L’homme s’avança vers Bowles et le dessinateur, dont les yeux s’habituaient peu à peu à l’obscurité, put enfin découvrir le Tianwan. Hong Xiuquan était beaucoup plus grand que la moyenne. Ses cheveux grisonnants adoucissaient quelque peu l’implacable dureté de son visage taillé à la serpe. Mais ce qui était le plus frappant chez lui, c’étaient ses yeux perçants et cruels, qu’il ne se privait pas de planter dans ceux de ses interlocuteurs pour les impressionner.
— Bienvenue au Céleste Royaume, monsieur Bowles ! lança le chef suprême des Taiping à son visiteur avant de le gratifier d’une poignée de main ferme.
— Je suis très honoré d’être reçu par son Céleste Souverain ! répondit le dessinateur, bien décidé à jouer le jeu de Hong Xiuquan.
— Quel bon vent vous amène ici, monsieur Bowles ?
— Je suis journaliste au North China Weekly. Un journal imprimé à Shanghai et qui tire à vingt mille exemplaires.
— J’ignorais qu’il y avait des journaux anglais en Chine…
— Je réalise une enquête sur le Céleste Royaume. Ayant pour habitude de ne parler que de ce que j’ai pu constater de visu , je suis venu sur place et vous remercie infiniment pour m’avoir autorisé à séjourner dans votre Céleste Capitale.
— Tous les observateurs de bonne volonté sont les bienvenus ici, monsieur Bowles.
— Je ferai mon travail de façon professionnelle, sans idée préconçue et, selon moi, en toute honnêteté.
Le Tianwan fit asseoir Bowles sur un tabouret tandis que lui-même prenait place sur une cathèdre de bois recouverte d’inscriptions latines à la gloire de Dieu.
— On m’a fait part de votre intérêt pour le cas de Mlle Clearstone. Vous avez raison. C’est une jeune femme de grande valeur… et que je tiens en haute estime.
— C’est réciproque, ô Tianwan ! Pour m’être entretenu avec elle pendant deux bonnes heures, je peux témoigner de son attachement à votre noble personne.
— Que pensez-vous de son frère ?
— Je connais à peine Joe Clearstone… répondit sobrement l’Anglais, qui ne voyait pas où le chef suprême des Taiping voulait en venir.
Comme s’il voulait le tester, le Tianwan observait Bowles avec curiosité, détaillant ses vêtements de la tête aux pieds, s’attardant sur la sacoche où il rangeait son matériel de dessinateur.
— Pensez-vous qu’il s’agisse réellement de son frère ? Ils sont si dissemblables…
— Je ne me suis jamais posé la question.
— Joe a un faciès proche du mien tandis que Laura, avec ses longs cheveux dorés, ne pourra jamais passer pour une hakka ! fit Hong en éclatant de rire. Et il possède un réel pouvoir médiumnique… Il ne dit pas un mot mais il sent bien l’avenir.
— Comment s’exprime-t-il ? Je croyais que ce garçon était incapable de parler !
— Par simple contact. Lorsqu’il participe à un office, je le prends dans mes bras et, du coup, j’ai toutes sortes de visions. Grâce à lui, j’ai « vu » la prise de Nankin par le Céleste Royaume deux mois avant qu’elle ne se
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