Le sac du palais d'ete
m’a envoyé jusqu’ici…
— Au nom de la communauté chrétienne de Kunming, je vous adresse tous mes souhaits de bienvenue et tous mes vœux de réussite. Je me mets bien entendu à votre disposition, révérend MacTaylor ! s’écria Tang, quelque peu désappointé par les méthodes cavalières de son visiteur.
— Vous vous méprenez, mon cher Tang. On ne m’a pas demandé de venir m’établir à Kunming. Je suis simplement chargé de rédiger un rapport sur les circonstances de la mort du pasteur Luang Fudong. Paix à l’âme de notre frère regretté !
— Il est aux cieux ! Le pasteur Luang est décédé en martyr… lâcha, d’une voix sombre, Karlgren qui venait de les rejoindre.
Toujours aussi tonitruant, MacTaylor, après avoir bu un bol de thé et raflé la moitié des gâteaux secs de l’assiette apportée par Tang, reprit la parole :
— Comme vous l’imaginez, son vil assassinat causa une immense émotion au sein de nos communautés baptistes. A-t-on retrouvé le commando de tueurs qui mit fin à ses jours ?
— Tout le monde, à Kunming, connaît l’identité des assassins de Luang, mais ils sont réputés intouchables. La police les protège ! répondit Tang avec lassitude.
Le pasteur médecin tapa du poing sur la table.
— Mais qui sont-ils donc ? lâcha-t-il, la bouche pleine.
— Des membres de la triade locale qui vendent de l’opium en dehors des circuits officiels… des malfrats qui reprochaient à Luang Fudong ses sermons véhéments contre la boue noire !
— Comme si les sermons d’un pauvre pasteur baptiste risquaient de porter tort à leurs intérêts… soupira l’Ecossais.
— Dans cette ville, monsieur MacTaylor, notre Église est réputée influente.
— Qu’entendez-vous par « influente »?
— Il existe à Kunming une rumeur persistante selon laquelle le pasteur Luang avait converti au christianisme l’ancien gouverneur du Yunnan…
— Je peux confirmer les dires du pasteur Tang pour avoir moi-même entendu parler de cela… ajouta le révérend Karlgren.
Après la mort tragique de Luang, les langues s’étaient déliées et plusieurs fidèles de la petite communauté baptiste avaient averti, à mots couverts, les deux pasteurs de ce bruit qui courait dans les milieux bien informés de la ville, depuis le départ pour Nankin de Prospérité Singulière.
— Il faut toujours se méfier des ragots ! Cette histoire me paraît hautement improbable, déclara, péremptoire, l’Écossais, qui n’imaginait pas un pasteur chinois réussissant à convertir un mandarin de très haut grade.
Pour MacTaylor, lui-même fils de pasteur, un Chinois autochtone converti n’arrivait pas à la cheville d’un pasteur occidental qui baignait depuis sa naissance dans la Vérité du Christ. L’inspecteur de l’Église du Septième Jour avait constaté que la plupart de ses pasteurs chinois étaient incapables de réciter par cœur fût-ce un seul Évangile ou d’expliquer le concept de la Sainte Trinité sans s’emberlificoter.
— Je suis du même avis que vous, murmura Tang qui, pour rien au monde, n’eût livré son secret à un religieux aussi arrogant.
L’Écossais sortit un calepin de sa poche et chaussa des bésicles. Puis, comme un juge s’adresse au condamné, il fit signe à Tang de s’approcher de la table.
— En tant que témoin du drame, pourriez-vous me décrire exactement ce qui s’est passé ?
— Le pasteur Luang Fudong et moi-même étions seuls, en train de ranger l’église après l’office. Soudain, nous entendîmes un brouhaha. Une poignée d’hommes encagoulés avaient forcé la porte d’entrée du temple que j’étais allé fermer à clé, conformément aux instructions. Quelques secondes plus tard, deux d’entre eux se ruèrent sur leur victime et la lardèrent de coups de poignard jusqu’à ce qu’elle s’écroule au sol, la gorge tranchée. Son sang s’échappa très vite et il rendit immédiatement le dernier souffle en me regardant avec la joie de celui qui s’apprête à rejoindre le Christ.
— Si je comprends bien, vous n’avez pas pu intervenir…
Tang se raidit légèrement. Que cet outrecuidant MacTaylor, qui était pourtant son frère dans le Christ, pût le suspecter de non-assistance à personne en danger était somme toute plutôt attristant.
— J’étais moi-même entravé par deux hommes qui me maintenaient immobile. Si j’avais pu,
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