Le sac du palais d'ete
j’aurais offert ma vie contre la sienne…
— Ces tueurs vous ont-ils fait passer un message, ou donné une explication quelconque ?
— Celui qui devait être leur chef me lança : « Quand on a percé la citrouille, la calebasse a intérêt à réfléchir »…
— Quelle drôle de phrase ! Ici, vous avez toujours de ces expressions ! pouffa l’affreux Écossais.
— En Chine, ce dicton signifie « donner un avertissement sans frais »… lui répondit de sa voix douce le fils de Prospérité Singulière.
— Soit c’est notre Église qui est visée, soit c’est vous-même, lâcha doctement MacTaylor sans la moindre émotion.
— Je ne crains pas la mort et, quant à notre Église, elle survivra à de telles menaces. Les catéchumènes ne cessent d’affluer. Leur nombre va croissant ! La lumière du Christ inondera peu à peu les cœurs…
— Au dernier office, j’en ai compté trente de plus ! Bientôt, nous refuserons des fidèles, s’écria le jeune Danois en volant d’autant plus volontiers au secours de Tang qu’il trouvait également choquantes les manières de l’inspecteur des consciences.
— Vous êtes en danger à Kunming, pasteur Tang… désolé de devoir me répéter. Les Chinois, lorsqu’ils sont fanatisés, n’acceptent pas de voir l’un des leurs se convertir. A leurs yeux, vous êtes un traître ! s’écria l’Écossais en levant les yeux au ciel.
— Lorsque je me suis converti, je n’ai pas eu l’impression de trahir quiconque !
— Tous les mois, des prêtres catholiques et des pasteurs chinois se font assassiner par des malfrats. La police impériale ferme les yeux. La montée en puissance du mouvement Taiping n’y est pas étrangère. Le pouvoir mandchou est acculé !
— Hong Xiuquan est pourtant l’un des adeptes les plus fervents de Notre-Seigneur Jésus-Christ ! Il suffit de lire ses écrits pour en être persuadé ! ne put s’empêcher de souffler le fils de Prospérité Singulière, dont le sang n’avait fait qu’un tour.
MacTaylor se raidit.
— Les écrits de ce fou furieux ? Parlons-en ! Nous en avons fait traduire les principaux… car l’animal semble noircir ses feuilles comme il respire ! Cet individu se prend pour le fils de Dieu et le frère du Christ !.
— Mais n’est-il pas écrit dans les Évangiles que nous sommes tous des fils de Dieu et des petits frères du Christ ? protesta Tang.
MacTaylor, qui ne supportait pas la contradiction, surtout de la part d’un autochtone, darda ses yeux dans ceux du Chinois et lui déclara :
— Monsieur Tang, un pasteur de l’Église du Septième Jour se doit d’adopter les positions de sa hiérarchie ! Celle-ci s’interdit toute prise de position politique ! Nous sommes ici pour parler de Dieu et non pour prendre parti pour telle ou telle engeance !
— Veuillez m’excuser, révérend. Sachez toutefois que je n’aurais jamais fait état, hors de ces murs, de ce point de vue sur le chef des Taiping.
En tout état de cause, Tang se sentait bien plus proche du Tianwan que de ce MacTaylor qui traitait les Chinois comme des sous-hommes.
— L’incident est clos. À présent que vous m’avez instruit sur l’assassinat, il me reste une dernière formalité à accomplir, fit l’Écossais en tendant respectivement à Karlgren et à Tang une enveloppe cachetée.
Ils ouvrirent chacun le courrier qui leur était adressé. Les missives émanaient du secrétariat général de la Mission baptiste de Chine. Karlgren se voyait attribuer la charge de l’église de la Compassion de Kunming. Quant à Tang, il était prié de rejoindre Canton où il avait été nommé pasteur coadjuteur auprès d’un certain révérend Issachar Jacox Roberts. Il était en quelque sorte rétrogradé, placé sous surveillance !
— J’essaierai de me montrer digne de cette nouvelle tâche qui m’est confiée ! fit aussitôt Karlgren qui ne cachait pas sa joie devant la confiance que lui témoignait sa hiérarchie.
— Dans une vie antérieure, j’ai eu l’occasion de croiser M. Roberts… souffla, de son côté, Tang, l’air songeur.
Le fait de repenser à sa rencontre avec l’Américain, lorsqu’il s’était précipité chez lui avec Sérénité Accomplie dans l’espoir de retrouver La Pierre de Lune, faisait ressurgir un passé qu’il avait réussi peu à peu à occulter. Comme le vent s’engouffre par la fenêtre qu’on vient
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