Le sac du palais d'ete
psalmodiait des cantiques en attendant sagement son arrivée. Femmes et hommes étaient séparés par une allée centrale. Procurateurs, surintendants et autres généraux en chef portaient des vêtements qui étaient la copie conforme de ceux des mandarins de haut rang lorsqu’ils étaient admis à comparaître devant le Fils du Ciel. Selon leur grade, du plus élevé vers le plus inférieur, ils étaient vêtus de rouge, de bleu, de vert ou de noir. À côté du trône vide de Hong était assis son fils aîné, le « Jeune Seigneur de Dix Mille Ans », un être réputé pour sa violence et ses multiples frasques. Soudain, Laura entendit un fracas de cymbales, de pétards et de roulements de tambour. Le palanquin tendu de satin jaune de Hong Xiuquan venait d’arriver dans la cour. Conformément à l’étiquette, il était porté par soixante-quatre hommes dont le cou était ceint d’une écharpe jaune, la couleur impériale. Quatre drapeaux le précédaient, les deux premiers étant décorés du phénix et les deux autres du dragon. Seul le Prince de l’Orient avait obtenu de disposer des mêmes insignes, mais à un seul exemplaire, tandis que les autres Princes se contentaient du dragon et du tigre, les chanceliers d’un éléphant et les procurateurs du cerf. Juste derrière le Tianwan suivait un détachement de soldats de l’armée des gueux, reconnaissables au liseré vert qui bordait leurs tuniques.
D’un pas leste, Hong sauta de son palanquin. Revêtu d’une tunique de cérémonie en soie jaune sur laquelle étaient brodées en rouge des inscriptions à la gloire du petit frère du Christ, il semblait d’humeur badine. Dès qu’il franchit le seuil de la salle du trône, l’assistance, unanime, se leva et l’applaudit à tout rompre. Yang, qui avait également le droit de porter des vêtements de couleur jaune, l’attendait au pied du trône. Il tenait Joe par le bras. Dès que le Tianwan aperçut le trisomique, il se précipita vers lui et, d’un geste affectueux, lui caressa la nuque.
— Ce garçon m’a parlé la nuit dernière, ô mon Roi ! J’ai cru qu’il était de mon devoir de t’en faire part ! lui dit Yang, qui avait pour tactique de toujours prendre ses adversaires de court.
— Joe n’a jamais prononcé le moindre mot devant moi ! fit Hong, très surpris.
— Il a utilisé ma bouche… Il m’a annoncé qu’il souhaitait s’entretenir avec toi sur un sujet très important…
— Nous verrons cela après la cérémonie du sabbat… maugréa l’intéressé.
Le Tianwan essaya de se diriger vers son trône mais le Prince de l’Orient, au mépris de toute étiquette, le retint par le bras, ce qui irrita le fils aîné du Tianwan qui descendit aussitôt les marches et tendit la main à son père. Sans plus attendre, Yang tomba à genoux. Ses yeux se fermèrent tandis que des gouttes de sueur commençaient à perler sur son front. Son corps se mit à onduler puis, tel un serpent pris au piège, à se tortiller dans tous les sens. Au bout de quelques secondes, il tressauta violemment et se redressa, avant d’écarter les bras comme s’il avait vaincu les forces obscures qui l’avaient jeté à terre. Tout son corps s’était à présent raidi comme une planche. De l’écume blanche perlait aux commissures de ses lèvres. Joe, derrière lequel il était passé et dont il se servait à présent comme d’une sorte de bouclier, roulait des yeux terrorisés. L’assistance, accoutumée aux transes du Prince d’Orient, retenait son souffle. Cela faisait des mois qu’il multipliait les transes d’une extrême violence. La tension était à son comble lorsque la voix rauque de Yang, qui s’était emparé des bras du pauvre trisomique et les manipulait comme ceux d’une marionnette, commença à tonner :
— Dieu n’est pas content de son fils Hong. Le Céleste Royaume court les plus graves dangers. Si je m’exprime aujourd’hui, alors que d’ordinaire je suis muet, c’est pour témoigner de la gravité de la crise que nous traversons. Le Tianwan ne s’applique pas à lui-même les règlements qu’il a édictés pour les autres. Tous les soirs, il fornique avec une femme différente et, lorsque ses maîtresses ne se soumettent pas à ses caprices, il les châtie ! Le Tianwan doit adopter une autre conduite avec les femmes… Le Tianwan doit cesser, par simple caprice, de requérir l’exécution de tel ou tel séance tenante… Le Tianwan doit se
Weitere Kostenlose Bücher