Le sac du palais d'ete
pieds !
— Je trouve surtout passablement grotesque sa façon de s’habiller à l’occidentale depuis qu’il est devenu membre du Country Club… soupira Nash.
— Pour le coup, je suis assez d’accord avec toi ! pouffa Antoine en songeant aux larges costumes de tweed à l’impeccable coupe prétendument anglaise dans lesquels flottait Keluak.
Le Malais étant fluet, ces habits, que l’intéressé se vantait de commander sur mesure chez un tailleur britannique de Hongkong et qui n’étaient pas spécialement adaptés au climat singapourien, conféraient au nouveau membre du Country Club une dégaine plus proche de celle d’un clown que d’un gentleman.
— Derrière ses simagrées, je me demande ce qu’il cache ! lâcha le Français qui ruisselait de la tête aux pieds.
— C’est Jarmil qui te rend aussi méfiant ? fit Nash, plaisantant à moitié.
Le Français n’eut pas le temps de répondre. Leur propriétaire malais déboulait, méconnaissable, habillé de la longue robe blanche qui était la tenue traditionnelle des musulmans de Kuala Lumpur.
— Bonjour, monsieur Keluak ! Vous êtes toujours d’une ponctualité exemplaire ! lança l’Anglais à l’intéressé.
— Excusez-moi, mais il fait si chaud que j’ai préféré garder mon vêtement d’intérieur… fit l’intéressé, avec les intonations d’un coupable demandant pardon pour ses fautes.
— Il vous sied fort bien ! lui répliqua, sans mentir, Stocklett qui, pour une fois, trouvait parfaitement adaptée l’ample tunique blanche de leur visiteur, avant de l’inviter à s’asseoir.
Le Malais, après avoir drôlement placé sa main entre ses jambes, ce qui lui permit de les croiser, rabattit promptement le pan formé par le tissu avant de lancer à la cantonade, l’air toujours aussi obséquieux :
— Merci, monsieur Stocklett. Comment vont les affaires de mes honorables locataires et amis ?
Vuibert répondit sur un ton maussade :
— Elles vont bientôt s’arrêter, monsieur Keluak !
— Qu’entends-je ? Vous arrêtez votre commerce ? fit Keluak en s’étranglant.
— Au moment où nous nous parlons, la société V.S.J. & Co est en voie de dissolution, s’empressa de préciser l’Anglais.
— Moi qui voulais vous proposer de louer la maison dans son entier, je tombe plutôt mal ! soupira celui-ci, l’air faussement contrit du traître de comédie.
— Vous déménagez aussi, monsieur Keluak ?
Le Malais se rengorgea.
— À vrai dire, la semaine dernière, j’ai acheté une maison un peu plus haut, sur la colline… une demeure un peu plus vaste et de meilleur standing que celle-ci… Contrairement à celle-ci, elle est de style parfaitement victorien…
— Et encore plus près de celle du gouverneur… plaisanta Nash.
Les deux Occidentaux connaissaient bien, pour être passés devant à maintes reprises, cette vaste demeure à colonnade qui appartenait à un armateur hollandais dont les trois navires avaient été capturés au début de l’année par des pirates philippins. Leur propriétaire ayant fait faillite, tous ses biens venaient d’être dispersés à l’encan et Keluak, pas peu fier, avait été le dernier à surenchérir contre deux Chinois et un Singapourien de souche.
— C’était une opportunité, lâcha ce dernier, tout heureux de montrer à ses locataires que, malgré la couleur de sa peau et ses origines, son ascension sociale se poursuivait.
L’Anglais se racla la gorge.
— Les bons comptes faisant les bons amis, monsieur Keluak, j’ai calculé ce que nous vous devons. Avec le préavis d’un mois, qui court par conséquent jusqu’à fin octobre, et sachant que nous vous devons évidemment le terme d’août, cela fait six livres sterling…
Nash alla ouvrir le petit coffre de fer scellé dans le mur où étaient enfermées les espèces détenues par V.S.J. & Co avant d’y plonger la main.
La veille, il avait achevé de calculer la liquidation des actifs de la compagnie V.S.J. & Co dont il était le gérant et dûment averti par lettre la chambre de commerce que ladite firme cesserait ses activités à la fin du mois de septembre. D’ici là, toutes les factures des fournisseurs devraient être réglées rubis sur l’ongle, si les associés voulaient échapper à l’infamant statut de « failli » qui empêchait d’exercer une quelconque activité commerciale dans tous les territoires sous juridiction
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