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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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nuageux venait brusquement de s’ouvrir, libérant d’un seul coup le grand espace azuré où il distingua sans peine un vol de grues, c’est-à-dire un heureux présage. Il se rêva en Immortel rencontrant la déesse de la rivière Luo, tirée par son attelage de six dragons attachés à son char nuageux, lequel était toujours précédé de dauphins et d’oiseaux aquatiques. Combien il eût aimé apprendre à son enfant, ainsi que son propre père le lui avait appris, ce beau poème de type Fu {70} comme les composaient les grands maîtres de l’époque du Premier empereur Qin Shihuangdi !
    A son enfant y on veut donner ce qu’on a reçu et aussi ce qu’on n’a pas reçu…
    Cet amour maternel, qui lui avait si cruellement manqué, son enfant le recevait grâce à Laura. Mais il lui manquerait toujours l’amour paternel.
    C’est alors que la conviction lui vint qu’il n’avait pas le droit, au nom de cet enfant, de se laisser aller au découragement et à l’inaction.
    Il se leva et fit quelques pas vers le magnolia pluricentenaire que les jardiniers du parc vénéraient comme un dieu, l’époussetant à longueur de journée et ramassant la moindre feuille et le moindre pétale tombés au sol. L’arbre se dispersait en mille branches qui se poursuivaient en bouquets de feuilles, luisantes et d’un vert profond, entre lesquelles, de temps à autre, s’ouvrait une fleur immaculée et odorante, telle une acmé vers laquelle toute la force de la plante se fût concentrée. Lui aussi devait concentrer ses forces vers un seul objectif : retrouver sa moitié et le fruit de ses amours avec elle… Après avoir posé ses mains contre le tronc argenté, pareil au corps d’un dragon, il huma l’une des fleurs qui était à sa portée avant d’implorer cet arbre de l’aider à accomplir son destin.
    Puis, pour se redonner des forces et aider à renaître le peu d’espoir qui lui restait, il se mit à réciter quelques phrases de Zhuangzi, son philosophe préféré, le meilleur compagnon des bons et des mauvais jours :
    La vie humaine, entre le ciel et la terre, est comme un poulain blanc qui franchit un précipice : en un éclair, il le saute ou s’y écrase. Tous les êtres, quels qu’ils soient, brusquement éclosent et brusquement disparaissent, selon la règle définie par le Tao. Une transformation les fait naître, une autre les fait mourir. Tous les hommes se lamentent à tort de cette situation alors qu’il ne s’agit pour eux que de quitter leur enveloppe naturelle pour en adopter une autre, d’essence spirituelle… Car le sans forme va vers la forme et vice-versa.
    Il était ce poulain blanc, capable de sauter tous les obstacles et de franchir tous les ravins du monde, mais susceptible, tout aussi bien, d’y tomber.
    Le bonheur, comme la vie, ne tenait qu’à un fil.
    Mais ce fil, il avait l’impression de l’avoir encore en main : Laura retrouverait son mari et l’enfant connaîtrait son père.
    Ragaillardi, il sortit du Jardin Public où les personnes âgées commençaient à amener leurs cages à oiseaux pour le cérémonial du chant du soir.
    Après avoir traversé le quartier des Remèdes, il dirigea ses pas vers la zone des docks où il aimait regarder partir et accoster les vaisseaux bourrés de marchandises, en essayant de deviner ce que contenaient les caisses de bois et les ballots de jute charriés par l’incessante noria des coolies, mais aussi d’imaginer les destinations des navires qui se rendaient à l’autre extrémité du globe.
    Au détour d’une grande place où des immeubles en bataille faisaient penser à de grands mammifères réunis le soir autour d’un point d’eau, il avisa une maison dont la façade de style occidental était ornée d’une large pancarte sur laquelle était écrit, en lettres vertes sur fond rouge, « Club des Anglophiles ». Il s’approcha de la bâtisse. Devant le porche, une sorte d’auvent de pierre flanqué de deux colonnes massives, des voitures à cheval déposaient des couples de nez longs élégamment vêtus, les femmes en robe de cocktail et en capeline, les messieurs en jaquette et en haut-de-forme, cigare au bec. L’arrogance des Occidentaux en terrain conquis personnifiée. Tout ce qu’il méprisait.
    Il allait continuer son chemin lorsque, de façon inexplicable, il se sentit poussé vers le portier en livrée noir et or qui accueillait, cassé en deux, ses visiteurs avec force civilités.
    —  Parles-tu

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