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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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nuit scellée sous une lumière bleuâtre, quasi minérale, en un mot, théâtrale. Atteindre l’inatteignable. Toucher le Yang alors qu’elle était le Yin. Fusionner avec La Pierre de Lune pour atteindre la Grande Harmonie.
    Vaguement consciente qu’elle s’était échappée de la dure réalité qu’elle avait néanmoins à affronter, elle se laissa emporter avec volupté vers ces délicieux abysses du fond de la mer où il faisait bon se perdre lorsque la tempête régnait en surface…
    Le lendemain matin, lorsque le premier rayon de soleil l’obligea à ouvrir un œil, elle était dans son lit, toute habillée. Elle ne s’était pas rendu compte qu’elle était allée s’y coucher. Telle une gifle cinglante, le présent arriva de plein fouet et les circonstances qu’elle avait à affronter lui revinrent en pleine face, chassant d’un seul coup la délicieuse atmosphère bénéfique et réconfortante dans laquelle elle avait baigné toute la nuit.
    Habitée par la hantise de ce qu’elle pensait y découvrir, elle se précipita, hagarde et manquant de se cogner aux murs, dans la chambre de Joe et ne fut qu’à moitié surprise d’y découvrir son corps sans vie, au pied du lit défait.
    Maudissant MacTaylor et étouffant un sanglot, elle se pencha vers le visage défiguré de son petit Prince de la Voix Muette d’où pendait, telle une racine de ginseng qu’on lui eût enfoncée dans la bouche, une langue énorme, effrayante, jaunâtre, toute habillée de saillies et torturée par les excroissances.
    Malgré son infinie tristesse, Laura éprouvait aussi un sentiment de délivrance. Que de situations difficiles son cher petit frère avait dû affronter ! Autant d’affres et de crises pour si peu de satisfaction et tellement de quolibets ! Le monde d’ici bas n’était décidément pas fait pour les handicapés mentaux qui étaient déjà dans l’ailleurs. Un ailleurs où Hong Xiuquan avait probablement aussi un pied, ce qui expliquait la connivence qu’il avait nouée avec Joe…
    Et elle ne doutait pas une seconde que Dieu, auprès duquel le stylet du pasteur écossais avait expédié Joe, saurait reconnaître les siens.
    À présent apaisée, elle était sûre que son frère habitait désormais dans un autre monde.
    Un monde qui, enfin, lui convenait.
    Un monde où il serait, à jamais, l’égal des autres.
    En proie à une terrible angoisse, elle se précipita dans la chambre de son fils et serra doucement dans ses bras l’enfant endormi qu’elle avait encore à charge en priant le Ciel pour que ce fût jusqu’à la fin des temps…

 
    67
     
    Canton, 19 mars 1855
     
    Le bonheur se faisait désirer.
    Cela faisait plusieurs minutes que cette adorable fillette aux grands yeux noirs et étonnés, hirsute et vêtue de hardes poussiéreuses, regardait avec insistance La Pierre de Lune. Depuis le matin, il était assis, incapable de bouger et insensible aux bourrasques qui s’abattaient sur Canton, le regard vague et brillant de larmes, sur ce banc humide du Grand Jardin Public devant lequel des gamins braillards et prétendument vêtus à l’européenne venaient le narguer en faisant des grimaces.
    —  Monsieur… monsieur ! Pourquoi pleurez-vous   ? lui demanda-t-elle en se hissant sur ses petits pieds nus encore entiers.
    Prenant conscience qu’elle était là, il s’essuya promptement les yeux.
    —  Quel est ton nom   ?
    —  Les gens m’appellent La Clochette ! fit-elle d’une petite voix flûtée.
    —  Et où vis-tu   ?
    —  Dans la rue, voyons ! s’écria la petite mendiante, comme si sa réponse allait de soi.
    La vue de cette enfant à la candeur compatissante qui tranchait singulièrement avec la méchanceté arrogante de la horde des fils de compradores qui n’avaient pas cessé de le harceler lui mit du baume au cœur.
    Sous le charme, il n’eut aucun mal à lui sourire.
    —  À présent que tu es en face de moi, La Clochette, tu vois, je ne pleure plus !
    —  Je suis contente.
    —  As-tu au moins mangé depuis ce matin   ?
    S’asseyant à côté de lui sur le banc de pierre, de sa petite main crasseuse, elle sortit de sa poche un gâteau enveloppé dans une feuille de papier.
    —  Oui ! Un marchand ambulant m’a donné deux beignets à la banane ! Il m’en reste un, vous le voulez   ? fit-elle, l’air entendu, comme on donne un bon tuyau à son meilleur ami.
    L’enfant croisa les bras et se mit à balancer ses jambes qui

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