Le sac du palais d'ete

Highlands.
    —  Moi qui espérais trouver dans ce club un de vos compatriotes qui prêterait une oreille attentive à mes malheurs, j’ai la chance d’être tombée sur un journaliste, fît Irina sur un ton qui se voulait enjoué, après avoir avalé une première gorgée de thé brûlant.
    —  Il arrive qu’il y ait d’heureuses coïncidences !
    —  Je n’ai jamais vraiment cru aux coïncidences, John ! souffla-t-elle d’une voix rauque.
    —  Je pourrais dire la même chose que vous… même si je n’avais pas prévu de venir ici aujourd’hui ! De quels tracas auriez-vous souhaité parler à l’un des membres de ce club   ? demanda John qui croyait à une plaisanterie tellement il lui semblait impossible qu’une créature telle qu’Irina Datchenko fût en proie au malheur.
    —  Si je vous expliquais la raison pour laquelle je me retrouve à Canton, vous auriez un très joli sujet de reportage, John !
    —  Je suis preneur de tout scoop digne de ce nom ! À Londres, ils m’ont envoyé ici exprès pour ça ! s’écria Bowles dont l’esprit s’échauffait.
    Irina Datchenko darda ses yeux dans ceux, éblouis, de John Bowles.
    —  John, votre hiérarchie pratique-t-elle la censure   ?
    —  Ils publient tout ce qui fait vendre du papier !
    —  Au risque de braver les autorités en place   ?
    —  Bien sûr ! C’est la logique même du journalisme. Du patron au simple rédacteur, chacun poursuit le même but : accroître le nombre des lecteurs du journal ! Suis-je clair   ? lui asséna Bowles, tout feu tout flammes.
    La Russe rapprocha son visage du sien et, après avoir vérifié qu’on ne pouvait pas l’entendre, lui chuchota :
    —  Et si ce que je vous raconte devait mettre en cause les plus hauts dirigeants de ce pays, que feriez-vous   ?
    —  L’ lllustrated London News ne serait pas mécontent de mettre un peu de poil à gratter là où ça fait mal. Quant aux lecteurs, ils adoreraient ! Ils sont friands d’histoires qui mettent en cause les puissants de ce monde.
    Elle but une gorgée de thé, réfléchit un instant, puis lui lança d’une voix frémissante :
    —  Dans ce cas, mon cher John, vous allez être servi ! Mon histoire fera copieusement augmenter le tirage de votre journal…
    —  Je suis tout ouïe ! fit l’Anglais en ouvrant son carnet noir.
    Irina avait décidé d’aller droit au but :
    —  Il y a vingt ans, l’actuel empereur de Chine tomba amoureux d’une jeune Russe à laquelle il fit un enfant…
    John commença à prendre des notes. À peine la Russe avait-elle entamé son récit qu’il en avait deviné la teneur. Irina était à la recherche d’un fils qu’elle avait eu de l’empereur de Chine. Il suffit de quelques minutes à Irina, de plus en plus vibrante et au bord des larmes, pour lui raconter les mésaventures de La Pierre de Lune. S’il avait osé, Bowles eût sauté au cou de cette femme au visage de madone qui lui apportait sur un plateau l’« éléphant blanc » dont il rêvait.
    —  Votre histoire est unique, Irina ! Absolument unique… murmura-t-il.
    De peur d’être entendu par les autres clients du Club des Anglophiles dont certains les regardaient déjà avec curiosité, le journaliste s’exprimait à voix basse.
    —  J’espère surtout qu’en la dévoilant au monde, je pourrai faire en sorte de retrouver mon fils bien-aimé !
    Il ne comprenait pas en quoi le fait d’ébruiter l’affaire aboutirait à un tel résultat, mais ce n’était pas le moment de contredire cette femme qui cherchait son fils comme la louve son petit et en faisant feu de tout bois.
    —  C’est tout le mal que je vous souhaite !
    —  Vous n’avez pas l’air convaincu !
    —  Pourquoi dites-vous cela   ?
    —  Je ne sais pas… je le vois à vos yeux.
    Diable de femme qui était capable de lire dans ses pensées !
    —  Avez-vous pris contact avec la police impériale de Canton   ? Il paraît que rien ne leur échappe dans la ville, fit John, sincèrement inquiet pour elle.
    —  Surtout pas ! Tous ces gens ne sont pas censés savoir que je suis ici !
    —  Il faut faire attention à vous, Irina. Vous êtes peut-être surveillée… et en danger !
    —  Que pouvais-je faire d’autre   ? Le vieil eunuque que son père a envoyé à Canton pour le retrouver ne donne plus aucune nouvelle. Je suis seule. Je me suis toujours battue seule !
    —  Et Daoguang   ?
    —  Le Fils du Ciel a toujours eu