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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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il lui faudrait le rédiger avec une encre diplomatique et une plume politique. Ni trop long ni trop court, sans fioritures ni justifications inutiles, il devrait mettre en exergue le fait que sa réaction avait été immédiate dès qu’il avait eu des doutes sur l’état des stocks de ses entrepôts cantonais. Il expliquerait aux gérants la façon dont, au cours d’une inspection inopinée, il avait découvert le pot aux roses. S’il n’avait pas eu la présence d’esprit de venir à Canton sans prévenir, le pillage aurait continué au grand dam de la compagnie. Mais ce n’était pas tout de rédiger un rapport pour se disculper. Encore fallait-il que là-haut, ils fussent convaincus du bien-fondé de son argumentation… et surtout de son honnêteté, ce qui n’était pas acquis d’avance. Il était en train d’imaginer cette ordure de Stocklett faisant à Row son numéro habituel sur les faibles capacités gestionnaires des commerciaux de son espèce et préconisant son renvoi de la compagnie sans un penny lorsque Zhong s’approcha de lui et lui glissa :
    —  Je vais vous préparer un autre bol de thé…
    Le serviteur félon eût été satisfait de doubler la dose de poison destinée à son maître pour l’expédier encore plus vite ad patres .
    —  Surtout pas ! J’ai déjà le ventre en feu ! Accompagne-moi plutôt marcher au bord de la Rivière des Perles. Un peu d’air me fera du bien… Ici, il fait si chaud ! gémit Jack, dont les noires pensées pesaient à présent sur un estomac déjà passablement embarbouillé.
    Bien que l’auberge où le marchand avait loué un petit appartement fût située à peine à trois ou quatre encablures du fleuve, ils mirent près d’une heure pour y arriver, le marchand d’opium peinant à marcher et s’appuyant de tout son poids sur l’épaule de son serviteur. La Rivière des Perles était, comme à l’accoutumée, jaunâtre et bouillonnante, pestilentielle et gonflée par les pluies diluviennes de la semaine précédente, charriant les putréfactions de toutes sortes qu’y déversait de jour comme de nuit la population de Canton. La force du courant était telle que même les grosses embarcations qui remontaient le fleuve, propulsées par la force des bras de la cinquantaine de rameurs qui se trouvaient à bord, semblaient faire du surplace. Après s’être traîné vaille que vaille vers un banc de pierre sur lequel des enfants en haillons jouaient à chat perché, Jack s’y affala comme une chiffe. Et en même temps qu’il contemplait ce grand torrent de malheur qui était capable, lorsqu’il sortait de son lit pour devenir une vaste nappe de mort, de noyer chaque année des dizaines de milliers de gens, il fut saisi d’un horrible doute.
    Se tournant vers Zhong, il l’observa, tandis que l’autre, d’un air où il voyait de l’insolence, soutenait son regard. Son doute se transformait en certitude. Au bout de quelques instants, il lui souffla d’une voix blanche :
    —  Tu sais, Zhong… je pense à quelque chose…
    —  À quoi donc pense monsieur   ?
    Niggles grimaça.
    —  Je me dis que si tu me volais, je serais le plus mal placé pour m’en rendre compte ! Le mari cocu est toujours le dernier à le savoir !
    Les yeux du serviteur, parfaitement maître de lui, ne cillèrent pas d’un iota.
    —  Monsieur ne parle pas sérieusement !
    —  Je parle le plus sérieusement du monde, souffla l’Anglais qui s’était levé et se tenait le ventre.
    Souffrant le martyre, il se racla la gorge et manqua de vomir. Un feu intérieur rongeait son œsophage, provoquant un énorme spasme qui parcourait son torse, de l’anus jusqu’à la bouche. Ouvrant grand la bouche, il crut qu’il allait rendre ses tripes et se libérer de cette terrible acidité qui imprégnait son tube digestif, mais rien ne vint.
    Pendant ce temps, Zhong scrutait la face de son maître afin de déterminer s’il plaisantait ou si, au contraire, il se doutait réellement de quelque chose. Le « nez long aux cheveux rouges » n’était plus que l’ombre de lui-même. Sous son béret de cheveux couleur de vieille étoupe, son visage hâve, creusé par les rides et mangé par des yeux profondément enfoncés dans leurs orbites bleuâtres, faisait peine à voir. Le poison à base d’arsenic qu’il lui inoculait depuis cinq jours commençait visiblement à produire ses terribles effets.
    Ce n’était sûrement pas le moment d’interrompre la

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