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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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proches l’un de l’autre que s’ils étaient d’un même sang. Pour répondre au vœu d’Olga Lvovna, qui est assise à ta droite, un nom unique couronnera désormais nos deux têtes : Kisiakoff père et fils. Ne l’oublie pas, Vierge sainte, lorsque tu dispenseras aux hommes tes instructions et tes bienfaits. Kisiakoff père et fils…
    — Ça va…, ça suffit, dit Volodia.
    — Signe-toi, mécréant, chuchota Kisiakoff.
    Ils se signèrent. Puis, ils revinrent vers la table, encombrée par les restes du repas. Kisiakoff se versa un verre de vodka, l’éleva devant son nez, le huma et dit :
    — À ta santé, fiston.
    — À la tienne, dit Volodia.
    Kisiakoff vida son gobelet d’un coup sec. Volodia observa qu’un ondulement hideux déformait son visage. Les lèvres se refermèrent, devinrent épaisses, dans le volume noir de la barbe.
    — Maintenant, dit Kisiakoff, le médaillon que tu portes sur ta poitrine aura un sens indéniable. C’est dans cet espoir que je l’avais acheté.
    Le poêle de faïence se refroidissait. Une fraîcheur humide pénétrait le dos de Volodia. Il frissonna.
    — Je voudrais me coucher, dit-il.
    — Fort bien, dit Kisiakoff. Embrasse donc ton père et monte dans ta chambre. Moi, je resterai ici quelque temps encore.
    — Pour quoi faire ?
    — Pour réfléchir, pour prier, pour pleurer de joie, soupira Kisiakoff. Je te l’ai déjà dit : je suis de la vieille école. Un rien me bouleverse…
    Volodia embrassa Kisiakoff, empoigna une lampe à pétrole qui était posée par terre, contre le pied de la table, l’alluma, ouvrit la porte et s’engagea dans l’escalier qui menait aux chambres. Tandis qu’il gravissait les marches sonores, une ombre le suivait sur le mur, déviée, anguleuse. On eût dit qu’il traînait derrière lui sa propre caricature, découpée dans du papier noir. Arrivé au palier du premier étage, il s’arrêta pour reprendre sa respiration. Le vent sifflait toujours avec rage, avec monotonie. La maison, assaillie de neige, protestait humblement.

IX
    Après la visite des salles, Constantin Kirillovitch Arapoff quitta l’hôpital dans un sentiment d’euphorie lumineuse. La bonne nouvelle qu’il avait reçue ce matin l’incitait à juger le monde entier avec indulgence. Tout en marchant le long du couloir blanc, bordé de portes numérotées, il lui semblait que le linoléum était mieux lavé que la veille, que l’odeur du phénol n’était point désagréable, et que la tenue des infirmières qu’il croisait sur son chemin ne laissait rien à désirer. Rencontrant Mayoroff dans le vestibule, il lui fit un salut amical de la main et demanda :
    — Tu restes encore ?
    — Oui, dit Mayoroff. J’ai cet ulcère à l’estomac que je voudrais surveiller de près.
    — Parfait, parfait, dit Arapoff. Toujours consciencieux et infatigable. Mes compliments.
    Il regardait Mayoroff avec sympathie. Le petit bonhomme suiffeux et douceâtre bénéficiait, lui aussi, de cet éclairage optimiste qui embellissait l’univers. Arapoff se reprocha d’avoir été trop souvent injuste envers son gendre.
    — Si tu as un moment de libre, passe nous voir, dit-il encore. Ne nous oublie pas…
    Puis, il traversa le jardin de l’hôpital, enseveli sous la neige et le silence, tourna dans la rue, et se mêla au flot clairsemé des piétons. Il marchait à longues enjambées alertes. Des passants le reconnaissaient, le saluaient aimablement. Et Arapoff était touché par ces marques de courtoisie. Sans contredit, tous les habitants de la ville étaient animés des meilleures intentions à son égard. S’ils avaient pu savoir les raisons de sa joie, ils l’eussent partagée avec entrain. Mais, voilà, ils ne savaient pas. Ils se hâtaient de rentrer chez eux, avec des mines préoccupées, comme si ce jour eût été comparable aux autres. L’on ne pouvait pas les arrêter, leur expliquer. Arapoff était impatient de retrouver sa femme pour parler avec elle de l’événement. Ils en avaient déjà discuté abondamment durant le déjeuner. Mais sans en exprimer, semblait-toutes les vertus consolatrices. Dans une lettre très affectueuse, reçue ce matin même, Nicolas leur annonçait qu’il avait subi brillamment ses examens d’officier mitrailleur était maintenu comme instructeur, dans les cadres de l’école, avec

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