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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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l’emploi de chef adjoint de la section des mitrailleurs. Cela signifiait qu’il restait à Oranienbaum qu’il ne retournerait pas au front, qu’il était sauvé. Cela signifiait que, pour lui du moins, la guerre était finie. Zénaïde Vassilievna avait pleuré de joie en lisant la lettre. Lui-même avait dû se moucher à plusieurs reprises pour dominer son émotion. Et, durant toute la journée, devant les malades, devant les confrères, il avait arboré un souri de satisfaction coupable.
    En approchant de son logis, Arapoff se délectait par avance de la bonne soirée qu’il allait passer avec femme, relisant la missive de Nicolas, commentant le résultat de l’examen, parlant des enfants, de l’avenir, avec tendresse et circonspection. Des gamins jouaient devant maison. Une boule de neige vint s’écraser aux pieds du docteur. Arapoff se pencha, ramassa les débris, les modela entre ses doigts et lança le projectile de l’autre côté de rue. Un garçon, rouge et niais, le fils de la voisine, reçut la boule de neige en pleine figure. Ses camarades éclatèrent de rire :
    — Bien visé ! Bien visé !
    Arapoff se mit à rire, lui aussi, et poussa la grille d’entrée. Les marches du perron étaient glissantes de givre. Il les gravit précautionneusement : « Ce serait trop bête de me casser le cou, un jour pareil ! »
    Dans l’antichambre, il respira voluptueusement l’odeur familière de cire d’abeille et de bois brûlé. Déjà, il voulait appeler sa femme pour ne pas perdre une minute de cette intimité si violemment espérée, mais il avisa un manteau et un chapeau d’homme pendus aux patères du vestibule, et, aussitôt, son visage se rembrunit.
    — Qui est là ? demanda-t-il à la servante, qui accourait pour le débarrasser de son pardessus.
    — Un M. Bourine, dit la fille.
    — Bourine ? Tu es sûre ?
    — Oui. Un grand. Avec des yeux tout drôles. Il est dans le salon, auprès de madame.
    Constantin Kirillovitch éprouva une déception rapide. Cette visite dérangeait ses projets. Toute la soirée était compromise. Il claqua des doigts avec irritation.
    — C’est bon ! dit-il. Je vais le voir.
    Mais il demeurait sur place, têtu, mécontent, la lèvre lourde. Pourquoi Volodia était-il venu ? Il était peu probable qu’il apportât des nouvelles de Moscou. Dans ses lettres, Tania ne parlait qu’à mots couverts de son soupirant de jadis. Plus d’une fois, elle avait même laissé entendre qu’elle était brouillée avec lui. Le récit qu’elle avait fait du suicide manqué de Volodia était d’une ironie significative. Quelle attitude fallait-il prendre devant ce garçon dont Arapoff ignorait les torts ? Si seulement Tania avait été moins secrète ! Mais elle préférait garder pour elle toutes ses histoires sentimentales, et on ne savait plus comment accueillir les gens qui venaient vous trouver de sa part !
    — Ah ! ces filles, grommela Arapoff. Qui nous délivrera des filles ?
    Puis, il poussa la porte du salon et s’écria valeureusement :
    — Volodia ! Quelle surprise !
    Devant lui se dressait un grand gaillard, blond et rose, un peu bouffi, au sourire craintif. Instinctivement, Arapoff regardait le personnage à la hauteur des yeux. Il vit la cicatrice, la prunelle de verre émaillé, et un sentiment de pitié étreignit son cœur. « Comment Tania peut-elle être si cruelle en parlant de lui ? » Il fit un effort sur lui-même et ajouta gaiement :
    — Tu n’as pas trop changé, malgré les années !
    — C’est ce que je lui disais à l’instant, murmura Zénaïde Vassilievna. Je crois même qu’il a meilleure mine qu’autrefois. Il est plus fort, plus…
    — Oui, j’ai engraissé, dit Volodia avec un ricanement désagréable. Et on m’a mis du verre dans la tête. Mais à part ça…
    — Ce sont des peccadilles ! dit Arapoff avec vivacité,
    — Comment trouvez-vous mon œil artificiel ? reprit Volodia. Pas mal, hein ?
    Arapoff se troubla :
    — Excellent… Très…, enfin très bien imité…
    — Il coûte cinq cents roubles, dit Volodia.
    — Il les vaut bien, soupira Zénaïde Vassilievna, qui semblait au supplice.
    — Voulez-vous que je le retire, pour que vous puissiez le voir de plus près ? demanda Volodia en portant deux doigts à ses paupières.
    Il y avait sur son

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