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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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sifflante :
    — Passez-moi les pinces.
    Quelqu’un passa les pinces.
    — Vérifiez le pouls… Encore un peu de gaze, sœur Irène… Là, là… Écartez-vous, bon Dieu…
    Près de la table, il y avait un seau, plein d’eau rougie, où nageaient des tampons d’ouate ensanglantés. Nina recula vers la porte. Seule, au fond de la pièce, elle se mit à prier. Mais les mêmes mots revenaient toujours à ses lèvres :
    « Mon Dieu, faites que tout s’arrange… Même si c’est impossible, même si ce ne doit pas être…, faites que tout s’arrange… »
    Ses genoux tremblaient. Elle vacilla et se retint au chambranle. Là-bas, au milieu de la chambre, les fantômes blancs s’agitèrent. Des instruments d’acier tombèrent en tintant dans une cuvette. Une voix dit :
    — Parfait… ainsi…, parfait, parfait…
    « Il est peut-être sauvé », pensa Nina, et une joie fulgurante lui traversa le corps. Mais, déjà, la voix poursuivait, monotone :
    — C’est tout ce qu’on peut faire… Ah ! quel malheur !…
    Et Nina reprit sa prière.
    Après l’opération, on transporta Siféroff dans la mansarde qu’il occupait au troisième étage de l’hôpital. Nina obtint du docteur Andréïeff de rester seule auprès du blessé pour veiller ses derniers instants. Assise au chevet du lit, elle serrait la main gauche de Siféroff dans les siennes. Elle s’émerveillait de ce poids de chair tiède qui, pour quelques heures encore, vivait entre ses doigts. Elle jouissait en avare de cette ultime palpitation. De temps en temps, le docteur Andréïeff, ou une infirmière, venait aux nouvelles. Vers cinq heures de l’après-midi, Siféroff reprit connaissance et demanda d’une voix faible qu’on allumât une lampe, sur sa table. Nina lui obéit, et une lumière pauvre inonda la petite pièce aux murs nus, au bureau encombré de paperasses. Le visage de Siféroff était vieilli par la lutte. Il se retenait de crier. Au coin de ses lèvres, perlait une mousse grisâtre.
    — Je vous remercie, Nina, murmura-t-il. C’est bien que vous soyez seule avec moi. Je suis plus calme ainsi. Mais qui vous remplace auprès des blessés ?
    — Sœur Anne.
    — Il ne faut pas… Il ne faut pas qu’on désorganise le service, à cause de cette sottise… De toute façon, je n’en ai plus pour longtemps…
    — Ne dites pas cela, s’écria Nina. Le docteur Andréïeff…
    Il fit un sourire las et remua sa main débile et blanche :
    — Ne vous donnez pas la peine… Je sais… J’ai compris…
    Puis, il ferma les yeux.
    — Si on avait un peu de morphine ! balbutia Nina. Ces misérables qui ont tout emporté…
    — Cela va très bien sans morphine, dit Siféroff. Très bien. Il suffit de penser à autre chose…
    Il n’avait pas ouvert les paupières pour parler et sa voix glissait entre ses lèvres, tel un liquide qui coulerait sans effort.
    — Voulez-vous un peu d’eau fraîche ?… Un peu de glace ?…
    Il balança la tête, de droite à gauche, comme pour essayer de dire non. Nina ne pouvait s’habituer à l’idée que cet homme déchiré, douloureux, fût le même qui, quelques heures plus tôt, debout devant elle, dans la pharmacie, annonçait joyeusement : « Il paraît que leur poisson est fameux. » Ces paroles résonnaient encore dans sa mémoire, comme s’il les eût prononcées à l’instant, et, cependant, il était là, brisé, perdant la vie par une grosse blessure bourrée d’ouate. « Il paraît que leur poisson est fameux. » Était-il possible que la torture succédât aussi rapidement à une félicité sans mélange ? Il lui semblait que quelque chose lui échappait dans l’enchaînement des faits. « Il paraît que leur poisson est fameux. »
    Elle crut qu’elle avait proféré ces mots à haute voix, car, subitement, il souleva les paupières et la regarda d’une manière affectueuse et désespérée.
    — Vous avez mal ? demanda-t-elle en se penchant vers lui.
    — Non… C’est…, ce n’est rien… Restez près de moi…
    — Mais je n’ai pas l’intention de m’en aller, dit Nina en s’efforçant de sourire.
    De nouveau, la porte s’ouvrit et le docteur Andréïeff parut sur le seuil.
    — État stationnaire, dit Nina.
    Le docteur Andréïeff ausculta le blessé et se retira en hochant la tête. Après son départ, Siféroff

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