Le Sac et la cendre
déranger, monsieur Bourine, mais les soldats perquisitionnent. Ils disent qu’on a tiré sur eux des fenêtres de l’hôtel.
Volodia se leva et ouvrit la porte. Dans le couloir, un groupe de clients entourait le directeur, dont la calvitie luisait comme une lampe.
— Du calme… du calme, bégayait-il. Ils seront très corrects. Ils me l’ont promis. Rentrez chez vous. Oh ! je les entends qui montent l’escalier !… Rentrez chez vous, pour l’amour du Ciel !… Et surtout n’ayez pas l’air d’être indignés !… Heu… Dans les circonstances présentes…
Volodia réintégra sa chambre et s’assit au bord du lit, les mains sur les genoux, la tête pendante. Il regrettait la mouche, le silence. Il eût voulu pouvoir expliquer à ces soldats qu’il n’appartenait pas à la même espèce que le reste de l’humanité. Des bruits de bottes blessèrent ses oreilles. Un poing cognait au battant :
— Ouvrez, citoyen-camarade. C’est pour la perquisition.
Avant que Volodia eût bougé de sa place, le bec-de-cane pivota violemment et deux soldats pénétrèrent dans la pièce. Ils étaient légèrement éméchés. Leurs visages exprimaient une fierté béate. Aussitôt, ils se mirent à fouiller la chambre, ouvrant l’armoire, les valises, bousculant les piles de linge et retournant les poches des vestons. L’un d’eux, un gringalet aux moustaches blondes, s’approcha de la table de toilette et prit le flacon d’eau de Cologne dans sa main noire. Sans doute pensait-il trouver de la vodka. Il renifla au goulot, reposa la bouteille et grogna :
— Cochonnerie !
— Pas d’armes ? demanda l’autre, un grand sec, la lèvre déformée par une cicatrice.
— Non, dit Volodia.
Le gringalet saisit sur la table un coupe-papier en forme de poignard :
— Et ça, qu’est-ce que c’est ?
— Un coupe-papier.
— Pour quoi faire ?
— Pour ouvrir les lettres.
— Quelles lettres ?
— Celles que je reçois.
— Hum ! Ça m’a tout l’air d’un couteau. Confisqué. Et il empocha le coupe-papier, d’un air menaçant :
— Voyons les tiroirs, maintenant…
Tandis que les soldats vidaient les tiroirs sur le tapis, Volodia sentait croître en lui une terreur grotesque. Certes, il n’avait rien à se reprocher. Mais ces hommes étaient-ils accessibles à la raison ? Ne fallait-il pas leur proposer de l’argent, ou un verre d’alcool, pour les amadouer un peu ? Il murmura :
— Vous devez avoir froid !
— Sûr qu’on a froid ! On ne reste pas toute la journée à se chauffer dans une chambre, nous autres ! On travaille à la victoire du prolétariat.
— Eh bien, si je peux vous offrir…
Un cri de surprise lui coupa la parole. Le gringalet avait découvert la boîte de métal dans laquelle Volodia rangeait ses yeux de rechange.
— Des yeux, des yeux de poupée ! disait-il.
Un flot de sang sauta aux joues de Volodia :
— Oui, j’ai été blessé… Je porte un œil artificiel…
— Ça doit valoir cher, ces bijoux-là !
— Assez.
— Et tu en as toute une série ? Un seul te suffirait.
— C’est-à-dire que…
— Les bourgeois, ça ne sait pas dans quoi mettre son argent, reprit l’autre en donnant un coup de crosse au montant du lit.
— Prenez-les si vous voulez, dit Volodia. Mais à quoi vous serviront-ils ?
— C’est joli. On jouera aux osselets avec ! répliqua le soldat en fourrant la boîte dans la poche de sa capote.
Volodia suait à grosses gouttes. Longtemps encore, les deux hommes fouinèrent dans la chambre. Puis, ils sortirent en traînant les pieds.
Resté seul, Volodia poussa un soupir de soulagement et glissa un doigt dans son faux col mouillé de transpiration. Cette incursion des révolutionnaires dans sa vie se soldait par des pertes insignes : le coupe-papier, les yeux de verre. Il pouvait retourner à son univers personnel. Où était la mouche ? Que pensait la mouche ? « Ils ont tout fouillé et ils n’ont pas remarqué la mouche ! » Elle se trouvait pourtant bien en vue, sur une moulure de la cloison. Comme Volodia s’approchait d’elle, à pas de loup, un vacarme sauvage glaça le sang dans ses veines. Cela venait du fond de l’hôtel, incontestablement. Des bottes tapaient contre un battant de bois sonore. Des voix criaient :
« Ouvre ! Ouvre, salaud ! »
Volodia se
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